KINOTAYO 2022 – Soup and Ideology de Yang Yong-hi

Posté le 6 janvier 2023 par

Une fois encore, la sélection du festival Kinotayo a frappé un grand coup avec Soup and Ideology un documentaire de la réalisatrice coréenne zainichi Yang Yong-hi. Un film qui dans sa recherche de mémoire vient raviver les douleurs endormies d’une histoire humaine aussi complexe que déchirante. Quête mémorielle, histoires individuelles et Histoire avec un grand H se mêlent en un long-métrage intimiste et poignant.

La mère de la cinéaste Yang Yong-hi est l’une des derniers rescapées de la sanglante répression menée par les forces sud-coréennes avec l’appui de l’occupant américain, suite au soulèvement de l’île de Jeju le 3 avril 1948 en Corée du Sud. Alors qu’elle présente son futur époux japonais à sa mère, l’Institut de recherche Jeju 4.3, chargé de compiler des informations sur cet événement demeuré tabou dans l’histoire nationale durant un demi-siècle, rend visite à cette dernière afin de recueillir son précieux témoignage. C’est alors que sa démence s’aggrave et qu’elle est diagnostiquée atteinte de la maladie d’Alzheimer. Ce documentaire prend la forme d’une gigantesque anamnèse au cours de laquelle l’histoire individuelle d’une famille déchirée se superpose à l’histoire collective tragique du peuple coréen.

Toute son enfance, la cinéaste a été élevée par des parents dévoués à la Corée du Nord, ce pays où ont été envoyés tous ses frères pour le servir et où reposent désormais les cendres de son père. Elle a eu du mal à saisir cette dévotion malgré tout l’amour qu’elle leur porte. Mais, parfois, le rapport politique à l’Histoire est plus complexe que l’on peut le penser. La vie de ses parents a été marquée par la persécution des forces sud-coréennes sur leurs familles. La tragédie de l’Histoire les a frappés si fort dans leur chair et dans leurs trajectoires d’individus que leur rapport au monde en a été changé. Ce rapport tout en nuances de gris à l’Histoire et à la mémoire historique, Yong-hi Yang essaye d’en rendre compte le long de son film. Quand on se réfère à cette période de l’histoire du peuple coréen, il n’y a pas de manichéisme qui tienne. 

Face à un sujet si tragique et écrasant, la réalisatrice prend de la hauteur en revenant à une échelle plus intimiste, celle de sa mère vieillissante. Elle décide de lâcher la grande histoire collective pour suivre sa mère, la façon dont elle mène son quotidien, se souvient, et oublie. Avec sa caméra placée au cœur du foyer exigu, on s’attache intimement à la mère et au conjoint de la cinéaste. Nous partageons à plusieurs reprises un même poulet à l’ail dont on suit la préparation et la dégustation. Nous suivons aussi la maladie s’emparer pas à pas de la mère de Yang Yong-hi. Pourquoi laisser place au quotidien et à l’intime pour traiter ce sujet majeur ? Pour créer de l’empathie ? Certainement. Mais, la véritable raison se trouve sûrement dans la dernière scène du documentaire. Alors que la cinéaste emmène sa mère, désormais atteinte d’Alzheimer, devant les tombes des victimes, celle-ci n’arrive plus à se souvenir des événements. Yang Yong-hi prononce alors ces mots : “C’est peut-être mieux ainsi d’oublier”. Une fois le travail de mémoire fait, le temps est désormais à l’oubli. Il faut savoir revenir aux choses simples de la vie, prendre la peine d’oublier en s’adonnant à son quotidien. Tout un message est mis en lumière, notamment par la maladie d’Alzheimer, et qui résonne dans le film à la fois comme un appel à la mémoire et un appel à l’apaisement de l’oubli. C’est dans ce double appel que se situent l’intérêt et la particularité de Soup and Ideology.

Avec brio et délicatesse, ce documentaire imbrique histoire individuelle et histoire collective pour faire de sa quête de mémoire une recherche de paix et de réconciliation, nécessaires pour aller de l’avant. Se forme un véritable jeu de va et vient entre les deux histoires. A travers l’histoire collective, Yang Yong-hi en arrive à mieux comprendre sa famille, et par leur histoire individuelle, elle saisit les troubles et les douleurs de l’histoire coréenne. Le film s’achève avec cette sensation qu’une page a été enfin tournée, que les blessures ont été soignées, les victimes dignement commémorées. En somme, c’est une œuvre réparatrice.

Rohan Geslouin

Soup and Ideology de Yang Yong-hi. 2021. Japon. Projeté au Festival Kinotayo 2022 

Imprimer


Laissez un commentaire


*