LIVRE – Kaiju, envahisseurs et apocalypse : l’âge d’or de la science-fiction japonaise de Fabien Mauro

Posté le 26 septembre 2020 par

Il y a de cela deux ans, Fabien Mauro avait, via son livre Ishiro Honda, humanisme monstre, permis, aux cinéphiles comme aux néophytes les plus curieux, de découvrir la vie et l’œuvre du célèbre cinéaste japonais, créateur de l’incontournable Godzilla. Celui-ci doit sa renommée à ses films tournés dans le Japon d’après-guerre, principalement des films de monstres. Mais Honda Ishiro est un arbre, certes majestueux, qui cache la forêt d’une quantité hallucinante de films de genre tournés après la guerre. Et c’est cette passionnante et foisonnante partie de l’histoire du cinéma fantastique que Fabien Mauro nous conte dans son nouveau livre Kaiju, envahisseurs et apocalypse : l’âge d’or de la science-fiction japonaise.

 

La première question que l’on se pose lorsque l’on découvre le livre, c’est par où commencer dans la découverte de cette mine d’or cinéphile. En effet, le livre offre au lecteur deux possibilités : soit on remonte le temps et on suit chronologiquement l’évolution de ce cinéma (on commence en 1949, le voyage se terminera dans les années 80), soit on peut directement se rendre aux gros chapitres qui intéresseront plus que d’autres.

Dans ce cas, il y a l’embarras du choix. Dans le désordre, on citera par exemple le kaiju-eiga, le film catastrophe, les invasions extra-terrestres ou bien encore l’homme invisible et le justicier en collants issu du tokusatsu. Chaque partie déborde de récits passionnants sur les œuvres phares de chacune des catégories, entre restitution dans le contexte social et économique de l’époque, souvenirs d’intervenants et anecdotes de tournage (quand les intentions nobles des metteurs en scène viennent s’écraser contre les obligations des studios), sans oublier les incontournables dessous des effets spéciaux. Vous saurez absolument tout sur ce cinéma fantastique japonais trop souvent réduit à des monstres géants piétinant des maquettes, des ovnis dissimulant mal les coutures d’un costume, ou des super-héros multicolores prenant la pose face au méchant envahisseur.

Prisonnières des martiens (1957)

Les textes sont riches, denses, et comble du bonheur, très souvent accompagnés d’une avalanche de photos d’exploitation d’époque, de posters originaux, qu’ils soient étrangers ou même français, ces fameuses affiches qui faisaient déborder Godzilla du cadre en y apposant des adjectifs aussi accrocheurs que tendrement désuets. On remarquera que, souvent, le résultat final semble un peu (pour rester poli) en deçà de ce que promettait l’affiche, mais on en vient à ressentir une nostalgie pour une époque et un cinéma de pur divertissement, généreux et imaginatif.

Pour autant, il est fortement conseillé de se laisser prendre par la main et de suivre le cours historique de ce voyage cinéphile. La raison est simple : chaque genre, chaque film en aura inspiré un autre dans son sillon. Un exemple parmi tant d’autres, si Godzilla n’avait pas existé, il n’y aurait jamais eu de Gamera. Cela peut paraître logique, mais le studio Daiei n’a fait que surfer sur le succès colossal du roi des monstres pour en proposer une variation quelques années plus tard. Mais là où la Toho donne parfois l’impression de ne plus trop savoir quoi faire de son monstre et sa symbolique (Godzilla passe de titan destructeur à protecteur de la Terre au gré de ses aventures), la Daiei va faire de Gamera un protecteur qui va immédiatement attirer la sympathie du public. La guerre, ou plutôt la compétition entre les deux studios, reviendra à intervalles réguliers tout au long du livre. On découvre alors des productions qui vont de l’immanquable (Invasion Planète X de Honda Ishiro) au plus gênant (Godzilla vs Megalon et son match de catch avec le roi des monstres qui enchaîne les pas de boxe en terrain vague).

Jet Jaguar, robot dont le design fut confié à des écoliers, s’associe à Godzilla dans un combat d’anthologie (Godzilla Vs Megalon, 1973)

Autre point important, et non des moindres : le cinéma de genre japonais d’après-guerre a toujours su s’adapter aux besoins de son public. Besoin de divertissement (Godzilla reste un film à grand spectacle pour l’époque, nous sommes en 1954), et besoin de se reconstruire sans oublier le passé, les deux attaques atomiques ne sont pas si loin. Nombre de productions traiteront par le prisme du divertissement ce traumatisme collectif, cette peur du nucléaire et des lendemains qui déchantent. Cette fameuse thématique sert d’argument plus ou moins subtil à toute une palanquée de productions qui en feront la cause de l’arrivée de monstres géants, d’invasions extra-terrestres… La liste est imposante. Mais même lorsque un genre commence à péricliter, soit par manque d’originalité (Godzilla aura finalement mis une raclée à potentiellement tout le bestiaire de la Toho), soit par lassitude du public qui lui préfère parfois les productions américaines, le cinéma japonais trouve un nouveau terrain à exploiter, un nouveau filon à creuser.

Les kaiju commencent à tous se ressembler ? On pourra toujours se rabattre sur les valeureux astronautes partis explorer l’espace, ou les courageux mais inconscients scientifiques descendus un peu trop bas dans les profondeurs de l’océan, ce même océan que Jules Verne avait exploré dans 20000 lieues sous les mers. Ici, il y aura moins de pieuvres mais plus de civilisations hostiles. Ce n’est pas du plagiat, c’est une variation.

Chaque genre mis en scène pourra trouver un écho à l’histoire du Japon. Si la bombe nucléaire a marqué les esprits, personne n’a oublié le tremblement de terre du Kanto en 1923. La nature peut toujours être une menace, et ce n’est pas le film La submersion du Japon qui nous dira le contraire, avec son archipel qui coule dans le Pacifique, entraînant une série de catastrophes culminant avec le réveil du mont Fuji. Dans un registre plus léger, on s’amusera en découvrant la naissance de Kamen Rider, figure emblématique du tokusatsu, héros masqué venu combattre moult vilains qui redoublent de plans machiavéliques pour asservir la Terre. Par curiosité, il est conseillé de jeter un œil à l’affrontement entre Kamen Rider et Starfish Hitler qui, à défaut d’être une merveille de mise en scène, permet de se faire une idée de ce que l’on peut se permettre dans ce genre de production.

Kamen Rider

Enfin, si le passé et ses blessures sont sources d’inspiration pour nombre de réalisateurs et scénaristes, le futur et ce qu’il réserve n’est pas mis de côté. L’avenir ne s’annonce pas des plus radieux et les jours sont comptés, à l’image du Virus de Fukasaku Kinji, qui voit une pandémie réduire à néant l’humanité, dans un film noir comme une nuit sans lune.

Mais face à l’invasion du cinéma américain et ses machines de guerre cinématographiques, le cinéma de genre japonais, à l’aube des années 80, va tranquillement se mettre en veille, d’un point de vue purement productif. Car à défaut d’avoir toujours été au sommet, techniquement parlant (tant sur le fond parfois discutable, que sur la forme, parfois indigente et usant du stock shot plus que de raison), il va impacter le public et l’imaginaire collectif dans des proportions inimaginables. Godzilla est désormais un mythe cinématographique qui a sa statue rutilante à Tokyo, les super-héros des tokusatsu sont devenus des classiques télévisuels à l’échelle mondiale (les Power Rangers ne sont que des descendants des héros japonais à moto), et certains héros ont droit à une deuxième ou troisième vie dans ce nouveau millénaire, à l’image d’Ultraman, qui truffe son reboot animé d’une liste assez incroyable de références à l’œuvre originale et la regarde avec un respect infini.

En complément de ce voyage dans le cinéma de genre japonais, le livre propose un récapitulatif des principaux films traités en y joignant une fiche technique, le résumé, la disponibilité sur des supports actuels (une excellente initiative pour tout cinéphile collectionneur et amoureux du support physique) et surtout, il exhume des critiques de l’époque. Critiques qui, avec le recul, peuvent prêter à rire, tant elles ont tendance à aborder de manière frontale et trop sérieuse des films de pur divertissement sans aucune prétention ni ambition si ce n’est le plaisir du cinéma.

Des monstres, de la destruction, des scientifiques inquiets mais courageux. une affiche qui a de la classe et fait rêver.

Au final, on constatera que le livre de Fabien Mauro est à l’image du cinéma qu’il met un point d’honneur à faire découvrir. Un cinéma gigantesque, complet, riche en découverte, généreux et au plaisir communicatif.

Kaiju, envahisseurs et apocalypse : l’âge d’or de la science-fiction japonaise de Fabien Mauro. Disponible aux éditions Aardvark