Wild Side explore la Corée du Nord en sortant un coffret DVD de quatre films produits par le régime le plus secret du monde. Regard critique sur cette cinématographie invisible, et la démarche qui nous permet de les découvrir… Par Fabien Alloin.
Quand sortirai-je de cette misère?
Il n’y a pas de fin
A ma misère et à ma tristesse.
De toutes les chansons qui parsèment les quatre films du coffret Regards sur le cinéma nord-coréen édité par Wild Side, celle arrivant à la toute fin de La Fille aux fleurs (1972), résonne comme un manifeste. On pleure tellement à l’intérieur de ces quatre films, les personnages subissent tellement ce qui les entoure, que même les figurants passant au détour d’un plan ne peuvent qu’avoir les larmes aux yeux. Ces pleurs, ce coup du sort permanent, rendent chacun de ces films suffoquant, fermé à double tour sur le destin de ses personnages. Difficile alors pour le spectateur d’y trouver sa place. Surtout face à un cinéma inconnu, invisible jusqu’alors.
Le dossier de presse et la présentation des films par Antoine Coppola, cinéaste et enseignant, insistent sur le fait qu’il est exceptionnel de voir des films jusqu’à maintenant jamais sortis hors des frontières du pays de Kim Jong-il. La fille aux fleurs, La légende de Chunhyang (1980), Le Calice (1987) et le récent Journal d’une jeune Nord-Coréenne (2006) – seul de ces films à être sorti en salle dans nos contrées – nous sont donc présentés comme des curiosités mais également comme des œuvres de décennies différentes, permettant de voir se dessiner un certain cinéma nord-coréen. Nos regards occidentaux, habitués désormais à voir régulièrement sur nos écrans des œuvres sud-coréennes, doivent alors affronter un autre regard également vrai et vivant. Si la déception est cinglante, n’était-elle pas prévisible ?
Traités de façons différentes, les quatre films proposés ici sont pourtant quatre mélodrames où chaque plan porte la marque du régime en place ; où le discours, qu’il soit dirigé vers l’importance du travail pour la patrie, la suprématie de la communauté sur l’individu ou encore contre les aristocrates et japonais colonisateurs, ne sert qu’une seule et même voix. Celle de Kim Jong-il, dictateur cinéaste chargé de la production cinématographique du pays dès 1967, auteur de De l’art cinématographique en 1973 et présent d’une manière ou d’une autre dans chacun des quatre films du coffret présenté ici, supervisant le scénario, le casting et la direction d’acteurs de La fille aux fleurs ou le montage et le scénario du Journal d’une jeune Nord-Coréenne.
La jeune fille aux fleurs, 1972
« Classique » du cinéma nord-coréen, La fille aux fleurs prend le spectateur en otage et fait gratuitement souffrir ses personnages jusqu’à provoquer la nausée. Il y est question d’une jeune fille et de sa sœur aveugle qui vendent des fleurs afin de payer les remèdes capables de sauver leur mère malade. Une fois passées les épreuves et les humiliations, les remèdes en poche, la mère mourra avant d’avoir pu être sauvée. On voit très rapidement sur le visage des comédiens que tout est joué d’avance ; la seule façon de ne pas subir ce film est alors de nous associer à la souffrance des personnages. On est ici au delà du pathos et le traitement qui est fait de ces femmes et de ces hommes se retrouve décalé par rapport à la narration. Ils n’existent que par ce qu’ils subissent ; chaque image, chaque figure, stagne, noyée sous des larmes tirées de force. Face au crescendo de l’horreur qui verra l’apparition in-extremis d’un happy-end, rire semble être le seul remède.
La Légende de Chunhyang, traitant une vieille légende coréenne également adaptée en Corée du sud, plus académique encore par son sujet, consiste en une longue et ennuyeuse mise en image de la révolution qui a scindé le pays en deux. Ce film ne suscite pas la colère éprouvée devant La fille aux fleurs, mais un désintéressement total face à des destins une fois encore écrits d’avance, naïfs et ne provoquant pas la moindre émotion. Un sourire est peut-être arraché au spectateur lorsque la révolution est mise au service de l’intrigue sentimentale, comme seul moyen pour un noble d’aimer une femme de simple condition.
Le Calice, 1987
Si Le Calice est le film le plus intéressant de ce coffret, c’est qu’il parvient, malgré le sous-texte permanent, à provoquer une émotion saine par rapport aux deux films précédents. Filmant une femme prête à se sacrifier pour son village, Jo Kyungsoon arrive à faire apparaître dans son film une certaine justesse, une mise en scène intéressante et une belle direction d’acteurs. Mettant en image la nostalgie d’une époque révolue, ce qui se déroule à l’écran paraît enfin sincère et la beauté de certains plans, même académiques, le place très au-dessus de La fille aux fleurs.
Journal d’une jeune Nord-Coréenne, 2006
La plus grande déception vient avec Journal d’une jeune Nord-Coréenne. Visuellement très différent des autres exemples du coffret, ce film de 2006 tend en effet vers un certain naturalisme, essayant ainsi de rendre les personnages plus attachants, plus proches des spectateurs. Les clins d’œil aux voisins du sud (Mickey sur les cartables des écoliers ; les grands immeubles très prisés des sud-coréens ironiquement présentés ici comme des Eldorados, etc.) font presque de ce film une œuvre miroir. Proche de nous, véhiculant des images familières, ce film paraît pourtant daté, que ce soit par la mise en scène sans véritable regard sur une jeunesse qu’elle prétend capturer, par le jeu des acteurs – totalement amorphes – ou bien par sa narration sans aucune surprise. Suivre cette jeune fille qui a honte de son père, « l’humble travailleur nécessaire à la patrie », laisse pantois.
Une certaine tristesse suit la vision de ces films où la propagande accompagne la fiction et ne laisse que très peu de place à un quelconque regard du spectateur. Tristesse également car en plus de tendre vers un exotisme d’un autre âge, il manque à ce coffret, à cette démarche, une vraie dialectique permettant de nous présenter ces quatre films dans un contexte plus identifiable, plus ancré dans le réel. Les œuvres proposées ici sont particulières et ne peuvent pas nous être présentés comme venant de n’importe quel pays ou de n’importe quel régime politique ; encore moins nous être présentés comme des curiosités. Reste alors quatre films, flottants, comme sortis de nulle part, et quatre dates qui ne veulent rien dire.
Fabien Alloin.