Parmi les films du Festival Allers-Retours 2020 dédié au cinéma d’auteur chinois, A Dog Barking at the Moon a été mis en lumière grâce à la présence de sa réalisatrice, Xiang Zi. Fable intimiste sur la communication au sein d’une famille, avec une importance de la thématique LGBT, le long-métrage a remporté le prix spécial Teddy Award au Festival de Berlin en 2019.
Une jeune femme enceinte et son mari américain retournent chez les parents de celle-ci pour un séjour. Peu à peu, d’anciennes tensions refont surface, entre les parents, entre la mère et la fille… Tous s’accusent de tous les maux. La mère est en effet persuadée que son mari est homosexuel. Afin de tenir le coup, elle se laisse alors aller aux paroles d’une mystérieuse secte. Sa fille essaie tend bien que mal de recoller les morceaux…
A Dog Barking at the Moon est un film d’auteur indépendant typique : il traite de thématiques tout à fait quotidiennes mais non moins dramatiques, et puise dans le vécu de sa réalisatrice. Il a aussi été produit dans des conditions difficiles qui ont mobilisé toutes les ressources personnelles de l’artiste, également productrice de son œuvre. Le film a en effet obtenu le visa de tournage à Pékin mais Xiang Zi, ne souhaitant pas retoucher le moindre morceau de scène, a décidé de ne pas le présenter au bureau de censure en Chine. Il n’a donc pas connu de sortie nationale dans son pays d’origine et demeure un objet de festivals internationaux, pour le moment. Tout du moins, nous pouvons juger le film en tant que produit final d’une jeune metteuse en scène, qui utilise le cinéma comme une sorte de thérapie.
A Dog Barking at the Moon est une œuvre d’écriture. Il y a quelque chose de romanesque dans le destin de ces personnages, issus de la classe moyenne, d’un milieu cultivé mais soumis à une lourde pression mentale de par les contraintes traditionnelles dans lesquelles ils évoluent. Ceci est surtout valable pour les parents, qui n’ont pas accès à la même liberté de vie que leur fille. La fille est tout à la fois le personnage le plus raisonnable, tentant désespérément de libérer ses parents du carcan traditionnel dans lequel ils sont enfermés, et dans le même temps celui qui nous paraît subir le plus de souffrance. À travers elle, il y a ses propres peines mais également celles de ses parents qui lui pèsent. Sa grossesse n’est pas un élément anodin, car il poursuit l’idée de la transmission aux générations suivantes d’une éducation, de l’amour filial et des idéaux auxquels on croit. N’est-ce pas une sorte d’avatar de la réalisatrice, qui crée un personnage qui vit l’intrigue à la fois de l’extérieur et de l’intérieur ? Dans tous les cas, on ressent pleinement l’intimité de cette famille, à travers une narration claire, qui comporte certes son lot de mystères et de non-dits, pour mieux se faire interroger le spectateur sur ce à quoi il assiste et, surtout, sur ses propres opinions. A Dog Barking at the Moon montre tout un pan de la société chinoise par la lorgnette d’une famille on ne peut plus classique. Ainsi fait, le propos est simple mais universel, car il place le spectateur dans une position d’identification. Il ne s’agit pas d’une formule d’une exceptionnelle originalité, mais il y a ici un travail minutieux sur la psychologie des personnages qui rend la démarche crédible. La scène emblématique du film à ce sujet demeure le long silence de la mère dans la dernière scène, lorsque celle-ci apprend à sa fille qu’elle était proche d’une amie dans sa jeunesse au point que son mari lui demande si elles étaient lesbiennes. De cette narration et cette construction des personnages, s’induit d’innombrables interstices d’interprétations sur ce genre de séquences.
Pour peu qu’on y regarde de plus près, A Dog Barking at the Moon n’est pas seulement une œuvre d’écriture. On trouve régulièrement des plans de personnages réunis autour d’une table, dans un intérieur sophistiqué, et de manière symétrique. La composition des plans est typiquement chinoise, et chaque détail de placement à son importance. Par ailleurs, certaines séquences sortent du cadre du récit et montrent les protagonistes exécuter leurs actions, non pas dans les décors habituels, mais sur une scène de théâtre. Par exemple, des scènes de trajet en voiture se font sur une scène et les acteurs sont assis sur des chaises où ils miment les mouvements de déplacement. Loin d’être ridicule, cet effet a un sens tout particulier dans l’esprit de la réalisatrice, qu’il nous convient d’interpréter. On peut y voir une prise de distance entre les personnages et le spectateur. En tout cas, cette mise en scène permet une légère variation des plans et empêche la monotonie de s’installer.
A Dog Barking at the Moon est un film très écrit et intéressant du point de vue formel. Il est le fruit d’une artiste à la recherche d’un message personnel à donner, et qui pour cela, n’a pas souhaité faire de concession à la censure chinoise. Si tous les chemins empruntés par les artistes peuvent se justifier, celui-ci d’autant plus.
Maxime Bauer.
A Dog Barking at the Moon de Xiang Zi. Chine. 2019. Projeté lors du Festival Allers-Retours 2020.