NIFFF 2023 – River de Yamaguchi Junta

Posté le 7 juillet 2023 par

Yamaguchi Junta, que l’on avait découvert avec Beyond The Infinite Two Minutes, récidive avec une nouvelle comédie de science-fiction bonne enfant : River. Celle-ci est présentée dans le cadre du Neuchâtel International Fantastic Film Festival (NIFFF).

Le train-train de l’auberge de Fujiya est bouleversé lorsqu’employés et clients se retrouvent pris dans une courte boucle temporelle. Au terme d’un cycle de 120 secondes précisément, ils sont ramenés à leur position initiale, mais retiennent la mémoire des événements. Passée la confusion initiale, cette situation insolite va les forcer à se confronter à tout ce qu’ils refoulaient.

Yamaguchi Junta semble avoir trouvé son sillon. Après Beyond the Infinite Two Minutes et son écran de télévision qui donne deux minutes dans le futur, il nous offre une nouvelle comédie autour d’une mini-boucle temporelle, dont la brièveté est déjà gage de loufoquerie. Cependant, la bonne idée ne s’avère pas totalement à l’épreuve de la déclinaison, et si le résultat n’est pas déplaisant, on aurait apprécié une montée en puissance du réalisateur, qui donne le sentiment de se reposer sur ses lauriers.

Les lauriers, justement, semblent un peu fanés. En effet, au-delà du concept, Beyond the Infinite Two Minutes brillait aussi (et peut-être surtout) par l’exercice de la boucle temporelle en (faux) plan-séquence, qui demandait une chorégraphie minutée et minutieuse de nature à impressionner le spectateur – cela d’autant plus que l’interaction entre les temporalités successives par le biais des écrans ajoutait autant de couches de complexité supplémentaire. Plus que dans l’histoire en elle-même, l’attrait reposait ainsi dans le défi d’essayer de se représenter la manière dont le film avait été conçu.

Dans River toutefois, rien d’aussi inventif, ni dans le scénario, ni dans la mise en scène. Le long-métrage se présente comme une suite de plans-séquence de deux minutes qui nous ramènent sans cesse au même point de départ. L’effet de répétition, s’il coïncide certainement avec l’exaspération des personnages qui subissent ce destin, rend plus difficile de se laisser entraîner par l’intrigue et donne le sentiment qu’elle peine à démarrer. En définitive, si le pitch de base pouvait laisser présager d’un scénario ludiquement emberlificoté, l’action qui en découle reste finalement très linéaire.

De la même manière, si la narration a l’occasion de brasser plus de thèmes à travers sa galerie de personnages aux réactions variées (de ceux qui sont poussés à bout à ceux qui accueillent le phénomène comme une pause bienvenue, en passant par ceux qui voient dans l’absence de conséquences durables une opportunité d’expérimentation), le traitement se révèle assez superficiel. Difficile, en effet, de véritablement développer des intrigues secondaires lorsqu’on n’a guère le temps que d’attraper quelques lignes de dialogue ici et là entre deux itérations du même parcours précipité.

Néanmoins, River sait aussi exploiter le ressort comique de cette sorte de mythe de Sisyphe à petite échelle, qui contraint l’héroïne à remonter les mêmes escaliers et longer les mêmes couloirs encore et encore pour retrouver les autres et reprendre le fil de l’enquête. Malgré cette répétition qui frustre de prime abord, le sentiment d’urgence finit par fonctionner et la succession d’états psychologiques qui traversent les personnages parvient à réinjecter de la surprise dans la boucle temporelle, lui donnant une teinte tantôt intrigante, tantôt chaotique, tantôt amusée et tantôt paniquée.

Au bout du compte, c’est une joyeuse comédie aux accents vaudevillesques qui finit par s’esquisser. Prise comme telle, il n’y a donc pas à regretter que ses personnages ne soient pas davantage approfondis, puisqu’ils sont avant tout prétexte à une effusion de situations burlesques. Là où la thématique du voyage temporel est souvent abordée sous un angle dramatique et très psychologique, c’est ainsi une manière revigorante de le revisiter avec une fraîcheur presque naïve. Pour une fois, nul besoin de se faire des nœuds au cerveau pour explorer les mécanismes d’un temps déréglé !

En définitive, River se présente comme un agréable divertissement. Son principal défaut reste de souffrir de la comparaison avec le précédent long-métrage de son réalisateur, qui était d’autant plus enthousiasmant qu’il semblait sorti de nulle part et ne cristallisait pas encore d’attentes. A la manière d’un Ne Coupez Pas !, on pouvait alors pardonner sa saveur amateure liée au surjeu des comédiens et à l’image filmée au téléphone, qui était compensée par une bonne dose de créativité. On espère donc que Yamaguchi Junta saura un peu mieux se renouveler avec son prochain film, car il n’en demeure pas moins un cinéaste plein de promesses.

Lila Gleizes

River de Yamaguchi Junta. Japon. 2023. Projeté au NIFFF 2023.

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