La 14ème édition du Festival du Film Coréen à Paris s’est ouvert en octobre dernier avec le film Exit de Lee Sang-geun. Comédie catastrophe, qui sait habilement rythmer sa narration entre rires et tension, a séduit bon nombre de spectateurs du festival parisien. Le réalisateur est venu présenter ce premier film, et nous l’avons rencontré.
Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Je m’appelle Lee Sang-geun, et je viens de réaliser mon premier long-métrage. Je suis venu ici au Festival du Film Coréen à Paris avec ce film qui s’intitule Exit, qui est sorti en Corée du Sud il y a 2 mois. Je vais essayer, à l’avenir, de faire plus de longs-métrages encore.
Exit est donc votre premier film, pouvez-vous nous raconter comment il a vu le jour ?
Cela fait très longtemps que j’essaye de réaliser ce premier film, que je veux devenir réalisateur, comme beaucoup de cinéastes, et j’ai passé beaucoup de temps à réfléchir pour trouver une idée, un concept, en mangeant, en me promenant dans la rue… Il y a 7 ans, par hasard dans un taxi, j’ai entendu parler de l’usage chimique du gaz. C’est comme ça que l’idée m’est apparue, et j’ai mis 7 années à réaliser le film, depuis le début de la conception du projet jusqu’à la réalisation. C’était bien évidemment très difficile, j’ai eu parfois des soucis, mais on m’a beaucoup aidé autour de moi, et j’ai pu achever mon travail. Mais c’est un peu par hasard que j’ai trouvé cette idée.
Vous avez écrit et réalisé le film. Que pensez-vous de cette démarche d’écrire et réaliser son propre film ? Est-ce selon vous un moyen de garder le contrôle sur votre création ?
Dans l’industrie du cinéma coréen, on a une règle un peu sous-jacente, non dite, qui est qu’un réalisateur qui débute doit écrire son scénario et prouver son originalité, qu’il est capable de concevoir une idée et en faire un film. En tant que metteur en scène, j’ai eu la liberté et le contrôle de faire mon film, mais vu que j’étais un réalisateur qui débutait, que c’était mon premier long-métrage, il fallait que j’écoute le producteur et les personnes plus expérimentées autour de moi, des autres réalisateurs… Ces discussions ont pris de la place pendant la réalisation, il y avait une tension mais il a fallu trouver un équilibre entre d’un côté bien écouter, respecter les conseils et aussi garder mon idée à moi et insister en ce sens. C’est important tout de même de garder ses idées, mais si on est trop têtu, cela donne un film que personne ne veut voir, à part nous-même. C’est bien une question d’équilibre entre ça et la liberté.
Ce sont donc là les difficultés dont vous nous avez fait part dans les questions précédentes ?
Il s’agit plutôt d’une souffrance générale des créateurs de trouver comment raconter cette histoire, comment trouver de bons outils, de bons moments, de bonnes lignes de dialogue… C’est plutôt une difficulté de cet ordre-là que j’ai eu. Il n’y avait pas beaucoup de tension entre les producteurs et moi. Il fallait que je les écoute bien sûr, mais ils me connaissaient déjà auparavant. On avait une bonne relation et ils m’apportaient du soutien, notamment moral. J’ai pu réaliser mon film et j’estime avoir eu de la chance.
Concernant le film, le héros est chômeur. Cet attribut n’est pas forcément courant dans les blockbusters. Cela permet des ressorts comiques, mais y’a-t-il d’autres raisons d’avoir choisi ce type de personnage, de fonction ?
Voir des losers dans des films de genre comme ça, je trouve ça assez courant quand même et j’en vois beaucoup. En Corée actuellement, nous avons bien sûr des problèmes de chômage des jeunes, c’est un phénomène social qui s’accroît. Dans le film, je ne voulais pas nécessairement problématiser ça, mais je voulais le montrer, en parler, indirectement à travers le personnage principal. Et j’ai pensé que les jeunes qui se retrouvent plus ou moins dans la même situation pourraient ressentir de l’empathie vis-à-vis de lui. C’est bien utile de mettre en scène un personnage qui a un handicap social, car les spectateurs ont envie qu’il réussisse ce qu’il entreprend, ils le soutiennent. Dans les films hollywoodiens de super-héros, on voit toujours les choses en très grand, avec des super-pouvoirs et des scènes vastes. Moi, je voulais parler d’un type plutôt normal, qu’on voit tous les jours au quotidien, et qui survit.
Il y a de belles séquences d’escalade dans le film et on peut trouver qu’elles arborent les attributs du jeu vidéo : avec des plateformes, des chemins à suivre, des menaces qui montent, des niveaux à grimper. Est-ce un aspect voulu et réfléchi de votre mise en scène ?
C’est effectivement un concept que j’ai eu en tête. On m’en a aussi parlé à Londres… Il y a un jeu vidéo qui ressemble beaucoup à la séquence du film. Je l’ai pensé comme un jeu vidéo Super Mario où il y a des missions, des étapes, il faut faire la mission pour passer à l’autre étape… Les jeunes spectateurs aujourd’hui adorent les jeux vidéo, je pensais que ça serait marrant d’avoir un concept de jeu vidéo et de l’intégrer dans un film. Je trouve aussi intéressant cette idée de « passer d’une étape à une autre ».
Justement, pouvez-vous nous en dire plus sur le tournage de ces scènes, qui ont l’air assez périlleuses, probablement avec des cascadeurs… Est-ce que l’acteur choisi pour le rôle principal l’a été car il est en mesure de réaliser des scènes physiques ?
Tout à fait. L’aspect physique et sportif était très important, même si avant tout j’ai choisi des acteurs qui savent bien jouer – c’était le principal. On a ensuite pris en considération cet aspect physique et si les acteurs auraient réussi ces scènes sans difficulté. L’acteur principal est Jo Jung-suk, il est bien connu sur la scène coréenne comme un acteur très physique, qui a beaucoup d’expérience sur les planches dans des comédies musicales, et il n’y avait pas de problèmes le concernant. L’actrice principale est Im Yoo-nah (YoonA), et elle vient à la base d’un girl band, qui a fait beaucoup de concerts sur scène. Elle était aussi entraînée physiquement. Par contre, en tournage, je les ai peut-être trop poussés, ça a été difficile pour eux et pour moi, de leur demander de courir encore et encore…
Au sujet des cascades : quand on pense à une des références en la matière, le cinéma hongkongais des années 80 avec Jackie Chan, on pense à la dangerosité de la discipline. Comment cela se passe-t-il en Corée à notre époque, notamment au niveau de la sécurité ?
Justement, Jo Jung-suk est un très grand fan de Jackie Chan ; on en a même parlé durant le tournage. On ne le voit pas dans le film, parce que ça a été supprimé après en post-production, en CGI, mais il y a avait pas mal de cordes, dans les scènes de courses, etc. Par contre, pour ce qui est de grimper et courir, il fallait que les acteurs le fassent eux-mêmes. Depuis Mission: Impossible avec Tom Cruise, on a toujours cette impression que les acteurs doivent faire leur cascade eux-mêmes. Les acteurs ont ressenti beaucoup de pression pour cette raison.
Il y avait donc une volonté authenticité comme Jackie Chan et Tom Cruise.
Absolument.
Nous avons parlé des acteurs principaux. Le reste du casting n’est pas en reste : les acteurs qui interprètent les parents du héros sont très marrants, tout en apportant une part de drame dans la façon dont ils veulent sauver leur enfant.
J’ai eu tant de chance, en tant que réalisateur qui débute, de pouvoir faire jouer les rôles du père et de la mère par Park In-hwan et Go Doo-shim, des acteurs très réputés en Corée du Sud. On dit justement d’eux en Corée, que ce sont le « père national » et la « mère nationale », parce qu’on les voit tout le temps jouer ces rôles, à la télévision et dans les films. Au début, ils m’ont dit qu’ils avaient un peu de mal à comprendre le scénario vu qu’il y avait beaucoup de CGI et de scènes d’action. Mais au final ils ont tout accepté. J’ai vraiment eu beaucoup de chance, on a travaillé dans le respect le plus total et ça s’est très bien passé. Ils étaient vraiment bienveillants sur le tournage, ils m’ont donné beaucoup d’opinions et de conseils. Ils étaient proactifs dans la réalisation du film. Il y a tellement eu un bel équilibre dans le travail, qu’on se voit toujours, comme une famille.
Vous étiez présent lors de la cérémonie d’ouverture, qu’avez-vous pensé de la réaction du public français ?
Je voulais voir si ce film pouvait parler aux spectateurs français et internationaux. J’étais soulagé de voir la bonne réception de la salle, les gens rigolaient. J’ai été étonné de voir certains spectateurs rire sur des scènes où ce n’était pas mon intention de les rendre comiques. Il y avait justement une vieille dame qui s’est mise au premier rang : je crois bien qu’elle a eu des vertiges et qu’elle avait peur durant les scènes d’escalade. À chaque fois que le personnage principal montait ou courait, elle criait. Elle avait carrément peur et ne pouvait pas voir le film ! C’était tellement amusant que j’ai passé tout mon temps à la regarder. À la fin, elle est venue me voir, et elle m’a dit « mais comment vous avez pu faire un film aussi effrayant ? ».
C’est ce qui qualifie d’ailleurs le film : une bonne partie comique et une bonne partie sensationnelle. Est-ce que vous pensez que c’est une bonne formule, que vous alliez réaliser un nouveau film de ce genre ? Est-ce votre style ?
J’adore vraiment la comédie et j’aime bien faire rire dans des films. Dans un film catastrophe, c’est important de trouver un équilibre entre la comédie et la partie qui fait un peu peur. Je n’ai pas voulu imposer un humour forcé dans certaines parties pour ne pas nuire au côté catastrophe. Mais je ne voulais pas non plus que ce soit un film trop anxiogène, qui montre trop de morts. Si on fait attention, on constate bien dans le film qu’à part la famille et les acteurs principaux, on ne voit personne. Il n’y a pas de scènes avec du sang, de gens morts dans la rue… J’aime me dire que c’est un film très sympa, très gentil, qui essaye de bien doser tout cela et de ne pas faire trop peur.
Quel est votre moment de cinéma, une scène dans le cinéma mondial qui vous a marqué ?
C’est soudain, j’hésite… À chaque fois qu’on me pose la question, je ne sais plus quoi dire. Beaucoup de films m’inspirent mais ça dépend vraiment du moment et de l’humeur. Même si je me force, je n’arriverai à pas trouver un film ou une scène qui m’a marqué comme ça, il y en a tellement… Je ne veux pas faire de discrimination, si je parle d’une scène, d’autres seront tristes. Ce n’est pas que je n’adore pas le cinéma, au contraire, et je repense à certaines à certains moments, de la vie, en mangeant, en faisant quelque chose… Mais ça dépend vraiment !
Propos recueillis par Maxime Bauer à Paris le 30/10/2019.
Remerciements : Marion Delmas ainsi que toute l’équipe du FFCP.
Exit de Lee Sang-geun (2019). Projeté lors de la 14e édition du Festival du Film Coréen à Paris.
Crédit photo : FFCP