Variation sur le thème du mal-être adolescent, Second Life propose un regard à la fois sensible et âpre sur le sujet à travers le parcours d’une jeune fille en quête d’identité, au sens propre comme au figuré. Premier long-métrage de Park Young-ju, il a été présenté au Festival du Film Coréen à Paris parmi d’autres premiers films de réalisatrices confirmant ainsi un tournant bienvenu dans le cinéma coréen et les traitements proposés.
Le film suit Sun-hee, une adolescente introvertie que personne ne remarque dans son lycée. Aisés, ses parents eux aussi se désintéressent d’elle, trop occupés par leurs activités professionnelles et leurs problèmes de couple. Après un drame, la jeune fille décide de s’enfuir et de commencer une nouvelle vie, différente, sous un nouveau nom.
Second Life s’ouvre sur le personnage principal, jeune lycéenne qui regarde des camarades de classe apporter un gâteau d’anniversaire à leur amie. Le groupe rit aux éclats lors cette petite fête improvisée tandis que Sun-hee regarde la scène, invisible malgré la faible distance qui la sépare des autres jeunes filles. Le moment, a priori anodin, prend toute la place dans l’esprit de Sun-hee, tant il la renvoie à sa propre solitude. En une scène, Park Young-ju installe l’atmosphère d’un long-métrage qui, tout du long, frappe par sa précision et sa concision dans le traitement de l’histoire racontée. Il n’est pas rare que les premiers films pèchent par la tentation de trop vouloir en dire et en faire : avec un film d’une toute petite durée (1h10), la jeune réalisatrice résiste à toutes fioritures éventuelles et va droit au but sans pour autant sacrifier quoi que ce soit en poésie ou en contemplation. L’émotion que l’on ressent alors devant le parcours de cette adolescente en manque d’amour, qui ne semble pas trouver d’issue à son mal-être et court sans cesse après ce qu’elle souhaiterait être, est alors immédiate et brute.
Au-delà de ces qualités indéniables, le film comporte plusieurs défauts. D’une part, la forme, consciemment très sobre et minimaliste, tire encore un peu trop vers le court-métrage. Il y a une certaine frilosité dans la mise en scène là où elle aurait nécessité davantage d’ampleur et d’un style plus affirmé. D’autre part, les adultes de l’histoire sont un peu trop caricaturaux, entre les riches parents négligents et la modeste directrice bienveillante. Les événements se déroulant du seul point de vue de l’adolescente, le choix est compréhensible mais il enlève un niveau d’ambiguïté entre le réel et le perçu qu’il aurait été intéressant d’explorer. Ceci est d’autant plus dommage que ce motif dispose d’un excellent traitement dans le cadre des rapports amicaux de la jeune fille dans chacune de ses « deux vies ». On pardonne néanmoins aisément ces quelques maladresses, la réalisatrice faisant par ailleurs preuve d’une sensibilité et d’une maturité tout à fait remarquables pour sa première tentative.
De La Frappe de Yoon Sung-hyun à After my Death de Kim Ui-seok, le thème du mal-être adolescent est un des sujets de prédilection du cinéma indépendant coréen. De prime abord, Second Life semble suivre les traces de ses prédécesseurs en mettant la cellule familiale et l’école au centre du malaise du personnage. Le film prendrait alors la forme de chronique ordinaire d’une adolescente se débattant avec les circonstances de son milieu et les attentes académiques et sociales qui pèsent sur elle, si ce n’est pour le désespoir subtilement malaisant instillé dès les premières séquences. Rapidement, et à la faveur d’un retournement scénaristique finement amené et d’une grande violence, le film sort de son cadre de départ. Au lieu de subir ses circonstances, l’adolescente choisit de clairement les rejeter pour recommencer sur de nouvelles bases. Par désespoir, lâcheté ou crainte, ceci ne sera jamais réellement éclairci et le film maintient d’ailleurs une certaine ambiguïté sur l’état psychique réel de la jeune fille pour laisser le spectateur libre d’interpréter les décisions de Sun-hee comme il le ressent. Récit de dés-apprentissage, le film devient alors un conte tragique sur la réinvention et son impossibilité.
La mise en scène atmosphérique accompagne ce virage par des changements de lumière et de texture. Ainsi, la première partie du film dispose d’une lumière naturelle assez froide avec des dominantes de tons noirs et bleus. En comparaison, une lumière plus solaire éclaire la seconde partie dans laquelle des couleurs plus vives sont introduites (rouge de la parka de l’héroïne). La scène de transition entre les deux mondes, dans laquelle l’héroïne s’avance dans un lac comme pour mettre fin à ses jours, est filmée d’une manière quasi-fantasmatique qui fonctionne bien avec la touche de symbolisme (le personnage renaît littéralement et métaphoriquement) et de poésie (ce qu’elle trouve est comme un rêve devenu réalité) qu’induit ce passage de Sun-hee à Seul-ki. Vissé au regard et aux perceptions visuelles et émotionnelles de la jeune fille, Second Life s’impose comme une observation des successions de moments qui vont influer sur ce qu’on est et ce qu’on choisit d’être. Or, à un âge où chaque difficulté semble plus insurmontable et chaque joie plus intense, cette somme de petits détails crée des séismes et peut mener aux actions les plus extrêmes et aux blessures les plus profondes. Dans cette recherche effrénée d’une vie de substitution, une « seconde vie », l’éclosion est de courte durée et, si le personnage se nourrit de de cette période d’épanouissement, elle se heurte à l’implacable constat que l’on ne peut effacer ce qu’on est, pas plus que les erreurs commises et les expériences vécues. Si Second Life laisse brièvement espérer un dénouement heureux pour la jeune protagoniste, la mélancolie lancinante reprend le dessus et la réalité ses droits. Le film s’y confronte frontalement, sans pathos ni minimisation, dans une scène finale poignante qui voit la protagoniste fuir vers ce qui sera peut-être sa troisième vie. La troisième parmi des milliers d’autres peut-être.
Un long-métrage aussi dépendant de la force de son personnage nécessitait une interprète capable de retranscrire toutes les étapes émotionnelles traversant le récit. La toute jeune Jung Da-eun se révèle plus qu’à la hauteur de la tâche et propose une composition formidable pour ses 18 printemps. S’adaptant à chaque situation avec une grande précision de jeu, elle nous présente une Sun-hee recroquevillée sur elle-même, dont chacun des regards semble se raccrocher à la moindre attention. Inversement, elle se métamorphose dans la seconde partie, s’illumine totalement, affirme son regard et sa posture, semble devenir femme quand on voyait jusqu’ici une petite fille. De l’ombre à la lumière, la palette d’émotion déployée par la jeune comédienne dans ce rôle, qui oscille constamment entre innocence et vulnérabilité d’un côté, et immaturité revancharde de l’autre, sublime de nombreuses scènes. Malgré un casting secondaire sans faute, elle est la raison majeure de la réussite du film qui tient sur ses frêles épaules.
Second Life est le film de fin d’études de Park Young-ju, fraîchement diplômée de la Korea National University of Arts. La réalisatrice est d’ores et déjà un des espoirs de la nouvelle vague du cinéma coréen qui voit de plus en plus de films mis en scène par des femmes. Pour notre plus grand bonheur, le FFCP nous a donné l’occasion d’en découvrir quelques uns, notamment House of Hummingbird de Kim Bora, autre premier film sur l’adolescence à travers les expériences d’une jeune fille en train de grandir. Si ce dernier est plus ambitieux dans sa narration et sa forme, Second Life a une rugosité imparfaite qui lui donne tout son caractère. Dans les deux cas néanmoins, le sujet est traité avec un regard frais, qui change des sentiers traditionnels. En effet, il y a une acuité dans l’observation des relations, une âpreté nouvelle et une sensibilité qui diffèrent de ce que l’on avait pu voir jusqu’ici. La violence est par exemple est moins présente à l’écran mais peut-être plus durable en ce qu’elle est intégrée et intériorisée. De la même manière, chez Park Young-ju, comme chez d’autres réalisatrices prometteuses, une douceur mêlée de cruauté imprègnent des films ouvertement engagés et à la fibre sociale. Annonçant une ouverture de industrie jusqu’ici très masculine, ceci fait le plus grand bien aussi bien en terme de style que de représentation. Second Life, et les nombreux premiers longs-métrages avec lesquels il creuse ce sillon, laisse présager un enthousiasmant renouveau du cinéma coréen que l’on espère confirmer lors de l’épreuve du deuxième film.
Claire Lalaut
Second Life, de Park Young-ju. Corée. 2019. Présenté lors de la 14ème édition du Festival du Fim Coréen à Paris.