AMAZON PRIME – Banana Fish d’Utsumi Hiroko

Posté le 20 avril 2023 par

Il faut le reconnaître, l’ergonomie de la plate-forme vidéo d’Amazon est un somptueux bazar, un fourre-tout où se mêlent séries phares comme Les Anneaux de pouvoir, films exclusifs et autres matchs de foot. Mais cette gigantesque jungle cache d’incroyables trésors, comme la série animée Banana Fish, chef d’œuvre du manga de Yoshida Akimi adapté pour la télévision par Mappa et Utsumi Hiroko.

En 1985, dans le magazine Bessatsu Shojo Comic, paraît le premier chapitre d’un manga nommé Banana Fish. La mangaka derrière cette œuvre, c’est Yoshida Akimi. Cette année-là, l’autrice a déjà derrière elle 8 ans d’expérience dans le manga et se lance dans une série qui va la consacrer à l’international et faire de Banana Fish un grand classique du manga, un monument du polar sur papier qui trônera fièrement au sommet du classement des 50 meilleurs mangas en 1998 pour le magazine Comic Link.

Ash Lynx, très fortement inspiré de River Phoenix, selon l’autrice.

1973, guerre du Vietnam. Un soir, lors d’un feu de camp, un soldat devient fou et ouvre le feu sur ses frères d’armes. Rapidement neutralisé, il a tout juste le temps de murmurer « Banana Fish« . Dans les années 80, nous voici à New-York. Un jeune homme, Aslan Callenreese, plus connu sous le nom d’Ash Lynx, tombe au coin d’une ruelle sombre sur un homme mourant qui lui remet une petit fiole remplie de poudre avant lui aussi de prononcer les mots « Banana Fish« . Ash ne sait quoi faire de cette chose, ayant d’autres préoccupations en tête. En effet, Ash est un chef de gang, redoutable et mortel. Il a 17 ans, est beau comme un dieu, mais traîne un lourd passif d’enfant abusé sexuellement, adolescent sans avenir élevé par un parrain corse de la mafia, Golzine, monstre pédophile qui a transformé Ash en machine à tuer. Ash doit donc composer avec un père de substitution pervers, des chefs de gang qui lui envient son statut et les conflits avec les autres clans de la ville, notamment les Chinois. Mais le destin va lui offrir une porte de sortie assez inattendue. Entre deux règlements de compte, il va rencontrer un journaliste japonais, Ibe, venu faire un reportage sur les gangs new-yorkais et aussi l’interviewer. Mais Ibe n’est pas venu tout seul, il est accompagné d’Okumura Eiji, jeune homme timide mais enjoué, naïf mais sincère. Et si les premiers échanges entre Ash et Eiji ne sont pas des plus chaleureux, le blondinet ultra violent va peu à peu baisser sa garde et se rapprocher d’Eiji, et commencer à entrevoir une existence possible loin des tueries et de la criminalité. Mais on ne tourne pas le dos à Golzine et au crime aussi facilement, surtout que le boss semble prêt à tout pour garder secret le Banana Fish, prototype de drogue ultra violente.

En l’espace d’un premier chapitre, Yoshida Akimi a posé les bases d’une tragédie contemporaine, un récit dense et riche où se mêlent ultra violence, trafic en tous genres, crime organisé mais surtout terreau pourri d’où va pourtant émerger une bouleversante histoire d’amitié (voire plus, nous y reviendrons) aussi impossible qu’improbable. Deux univers qui n’auraient jamais dû se rencontrer, en quelque sorte. Ash n’a connu que la violence et à 17 ans, a déjà l’amertume et le désenchantement d’un adulte condamné à tuer pour ne pas se faire tuer. Eiji a la vingtaine et n’est jamais sorti de son Japon natal, couvé par ses parents et loin de toute violence. Mais étrangement, dès les premiers chapitres et les premiers ennuis, il va se créer entre les deux jeunes hommes une relation étrange, faite de confiance aveugle et sincère, d’échanges parfois maladroits, mais où chacun va apporter quelque chose de nouveau à l’autre. Ash et Eiji vont se compléter, se soutenir et s’entraider. De manière parfois touchante, brutale et gauche, Ash va garder un œil bienveillant sur Eiji et le protéger, lorsque celui-ci ira jusqu’à risquer sa vie pour essayer de libérer son nouvel ami, dont il ne comprend pas toujours le recours systématique à la violence. Il en résulte des scènes aussi touchantes que dérangeantes, lorsque par exemple Ibe surprend Ash en train d’apprendre à Eiji comment tirer au pistolet pendant une échappée à la campagne, ou comment une machine à tuer essaie tant bien que mal de former un enfant à tuer. Et c’est pourtant au détour de scènes comme celle-ci que Banana Fish touche au cœur. Lorsqu’Ibe parle plus tard de cette scène à un ami du groupe, il raconte avec émotion que c’est la première fois qu’il a vu Ash sourire, redevenir un adolescent normal, au contact d’Eiji, avant de se rendre compte qu’on l’épiait et d’immédiatement se renfermer.

Yoshida Akimi fait de Ash Lynx un héros qui vit avec le crime chevillé au corps mais à qui le destin va essayer d’offrir une échappatoire, et ce au gré de la rencontre la plus improbable au monde. La relation entre Ash et Eiji est d’ailleurs assez ambiguë. Si d’aucun n’y verront qu’une simple histoire d’amitié aussi surprenante que touchante, il est intéressant de constater qu’avec le recul et au détour de plusieurs analyses du manga, il n’est pas exclu de penser qu’une relation autrement plus sentimentale se noue entre les deux hommes. Le doute peut s’installer, au détour de quelques dialogues et échanges plus évocateurs que d’autres, mais cela n’empêche pas le lecteur d’être profondément touché par la relation quasi-fusionnelle qui va se nouer malgré les obstacles. Et des obstacles, il va y en avoir ; nous sommes dans un polar et tout cela risque de mal finir.

Le milieu dans lequel Ash grandit n’est pas décidé à le voir partir et tourner le dos à ses employeurs/tortionnaires. Son mentor Golzine et Arthur, son compagnon de délit, vont lui compliquer la vie et aller jusqu’à menacer Eiji pour faire tomber Ash, quitte à s’allier avec tout ce que New-York peut compter de voyous. Mais celui-ci n’a pas l’intention de laisser mourir son seul ami. Yoshida Akimi va broder un récit riche en péripéties, trahisons, chantages et autres exactions, un chemin vers la liberté pour son héros qui va pourtant souvent prendre des airs de chemin de croix à force d’épreuves où il risque sa vie et celle de ses proches. La mangaka a un style violent, sec, elle va coller de près aux baskets de ses héros et ne nous épargner aucune de leurs galères. C’est souvent dur, parfois cruel (la mort d’un des acolytes de Ash est d’une violence insoutenable), et l’histoire prend souvent des airs de « Ash et Eiji contre le crime », mais à aucun moment on ne s’ennuie ni ne frôlons l’overdose. La mangaka dose habilement la tension et des plages de légèreté, que ce soit avec les personnages plus en retrait (les sous-fifres de Ash, aussi touchants que maladroits), ou des moments plus intimes et déconnectés du récit avec Ash et Eiji qui se comportent comme des adolescents qui se chamaillent. Ash arrive à toucher parfois du doigt le bonheur et à vivre des petits instantanés de vie normale, n’étant cependant pas dupe un seul instant qu’il va lui être difficile de renoncer à un passé bâti sur une montagne de cadavres sans en payer le prix fort.

Si les personnages principaux sont remarquablement bien écrits, avec leurs forces et leurs faiblesses, il en va de même avec les personnages secondaires, avec notamment Blanka, le mentor bienveillant de Ash, mais surtout ceux du coté de la mafia chinoise, groupuscule où Ash trouvera un ennemi aussi fourbe que dangereux en la personne de Lee Yut-Lung. Un individu jaloux de l’amitié qui se noue entre Ash et Eiji, anti-héros aussi cruel que pathétique. Mais c’est aussi au sein de cette triade que Ash va trouver un allié inattendu, le petit frère de Lee, Sing Soo Ling, petite frappe au grand cœur qui va rapidement se rallier à la cause de notre duo. C’est d’ailleurs lui qui va se révéler être le plus perspicace quant à la relation Ash/Eiji, comprenant rapidement que le caïd new-yorkais est prêt à donner sa vie pour protéger son ami. L’évolution de son personnage est d’ailleurs l’une des plus réussies du manga, passant de dangereux antagoniste à ami et confident d’Eiji lorsque tout s’effondrera.

Sing Soo Ling, second rôle inoubliable du manga, aussi mortel qu’attachant.

On ne développera pas plus en longueur les rebondissements qui parsèment le manga, et Dieu sait qu’ils sont nombreux, mais le récit fleuve de Yoshida Akimi ne cesse de monter en crescendo en ne ménageant pas les nerfs de son lectorat, jusqu’à un final qui laissera le lecteur à genoux, sur un coda aussi violent que touchant et désespéré.

Concernant la série, tous les tomes du manga sont réunis en 25 épisodes, et c’est le studio Mappa qui est à la technique. Si le style du dessin de Yoshida Akimi n’est pas forcément fidèle au coup de crayon près (voir ci-dessous), Mappa en retranscrit brillamment la force et l’énergie, et durcit un peu plus les traits de ses héros. Un mot aussi concernant l’adaptation du récit original : la série modernise quelques points et rafraîchit le contexte général. Le pétage de plomb original du soldat a lieu maintenant pendant la guerre en Irak, et l’histoire de Ash et Eiji a lieu dans le New-York actuel. Rien de franchement dérangeant en somme, mais il vaut mieux être prévenu, au risque d’être surpris si on se penche sur le manga après la série ; manga qui, selon son autrice, s’inspirait des séries B américaines des années 80. Et enfin dernier avertissement, la série n’édulcore absolument pas les aspects les plus glauques et dérangeants du manga, surtout ceux liés au passé de victime d’actes pédophiles de Ash. Il était important de le mentionner.

En conclusion, on pourra affirmer que si déjà à la base le manga de Yoshida Akimi était bien établi comme un classique de la bande dessinée japonaise, son adaptation animée datant de 2018, injustement passée sous les radars, mérite que l’on s’y attarde et demeure une excellente série. Elle se montre très largement à la hauteur du manga et en conserve toute la force émotionnelle. Et les plus curieux pourront se jeter sur l’œuvre originale qui a eu les honneurs d’une réédition il y a deux ans, intitulée Perfect Edition. Tout simplement indispensable.

Romain Leclercq.

Banana Fish d’Utsumi Hiroko. Japon. 2018. Disponible sur Amazon Prime Video.

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