Lav Diaz revient sur les écrans français ce 31 juillet avec Halte, film d’anticipation d’une noirceur abyssale et d’une importance capitale.
Lav Diaz est un réalisateur à part dans le cinéma mondial actuel. Lui comme ses films ne rentrent dans aucune case. Longs, labyrinthiques, prenant le temps d’installer un univers cohérent, les films du réalisateur sont un monde à part entière.
Avec Halte, et son pitch d’anticipation, Lav Diaz fait ce que pouvait faire un cinéaste comme John Carpenter mais en ne répondant pas du tout aux mêmes impératifs de production. 2034, après des catastrophes naturelles, l’Asie du Sud-Est est plongée dans l’obscurité totale. Une épidémie mystérieuse a tué des millions de personnes et les Philippines sont dirigées par un dictateur totalement fou à lier. La noirceur qu’on attend se ressent dès les premiers instants. Il pleut en permanence, le noir et blanc, la lumière blafarde vient tour à tour hypnotiser ou agresser, et la violence de cet univers frappe.
Pour créer son monde et étayer son propos, Diaz articule son récit autour de plusieurs figures. La résistance, symbolisée par le personnage de Hook (superbe Piolo Pascual vu dans On The Job d’Erik Matti), les tortionnaires (le président et ses plus proches lieutenants), Haminilda, ancienne professeure traumatisée par des évènements passées et enfin Jean Hadoro, psychiatre auteur d’un livre qui dérange les autorités.
Ces personnages sont la base du monde de Halte, mais l’ambiance que Diaz distille finit de nous plonger pour de bon dans ce cauchemar. Les rues sont vidées de leur substance, les gens ont peur, les seuls bruits qui viennent rompre le silence sont ceux des coups de feu et de ces maudits drones qui patrouillent à longueur de temps pour débusquer des infractions. Le cinéaste crée un monde crédible, palpable, avec des petits riens qui renforcent l’immersion. Nous sommes aux Philippines en 2034.
Ce qui marque avec ce cinéma si reconnaissable demeure ce sentiment d’urgence, ce besoin vital de filmer la situation d’un pays et la volonté d’utiliser le cinéma comme une arme. Lav Diaz dans sa note d’intention parle d’une rencontre qui a façonné son film : un homme qui faisait un discours politique dans la rue et qui lui a demandé « Que peut le cinéma ? ». Halte en 4h39 tente de répondre à cette douloureuse et périlleuse question.
Le réalisateur filme avec courage et brio une situation devenue intenable et absurde, où la violence et l’intolérance règnent. Il n’y a pas de nuance dans le discours de Lav Diaz parce qu’il est urgent de faire quelque chose. Halte est un film sur la résistance face à la folie, la barbarie et l’injustice. C’est filmer des concerts de rock, des hommes et femmes refaisant le monde autour d’une bière les yeux emplis de larmes. Passer des idées aux actes dans ce monde devient très difficile et Halte mue en une injonction à prendre les armes, quelles qu’elles soient. Une caméra, une guitare, un stylo, un micro, ne jamais s’arrêter de résister face à l’innommable.
Lav Diaz n’a pas peur, il va pointer du doigt. Son personnage du président Navarra (hallucinante performance de Joel Lamangan) est sans équivoque un portrait de Rodrigo Duterte, président actuel des Phillipines. Un président qui avait déclaré pendant sa campagne « Oubliez les droits de l’homme, si je deviens président, ça va saigner ». Le portrait que Diaz en fait dans le film ne semble même pas caricatural tant Duterte incarne la folie et la violence. La partition de Lamangan est outrancière au possible, il hurle, pleure comme un bébé, refoule son homosexualité. Toute cette grandiloquence desservirait le discours de n’importe quel film, mais ici, pas du tout. Le contraire se produit même. Cette outrance nous saute au visage, nous ne sommes plus en 2034, nous voilà revenu en 2019.
Halte devient 4h39 de cinéma guérilla contemplatif et poétique, qui n’a pas le temps de faire dans la nuance mais qui n’oublie pas ses instants de grâce. Lav Diaz répond à la question de cet homme qu’il a rencontré un soir par hasard et qu’il n’a plus jamais revu : le cinéma doit toujours tenter de sortir de l’obscurantisme, d’éveiller les consciences, d’être un miroir du monde dans ce qu’il a de plus beau et terrible. Ce film en tout cas nous renvoie en pleine face ce que le monde sera si personne ne fait quelque chose. Halte sonne comme un geste désespéré, mais c’est avant tout le film le plus courageux et noble de l’année.
Jérémy Coifman.
Halte de Lav Diaz. Phillipines. 2019. En salles le 31/07/2019.
Le 11/06/13 par Jeremy Coifman