EN SALLES – Hospitalité de Fukada Koji : La maison qui rend fou (en salles le 26/05/2021)

Posté le 26 mai 2021 par

Le public ayant découvert Fukada Koji avec Harmonium (2011), prix du jury Un certain regard, ne sera pas dépaysé. Hospitalité, sorti un an plus tôt au Japon, en 2010, en est une variation toujours aussi acide.

Le récit s’ouvre sur un conflit semblant être géré de la plus douce et bienveillante des manières. L’oiseau de la petite Eriko a disparu. La famille Kobayashi s’affaire avec calme et organisation. Le papa, imprimeur, fait l’affiche, les autres vont la déposer. Il fait beau, mais l’atmosphère estivale japonaise est lourde dans ce petit quartier que rien ne semble pouvoir en apparence déranger.

Fukada casse rapidement l’ambiance, très poliment, posément. Un certain Kagawa s’immisce dans la vie des Kobayashi. Comme l’inconnu de Théorème de Pasolini venant révéler les autres personnages, l’affable homme à lunette devient le grain de sable enrayant la machine.

Le cinéaste pose la question de l’hospitalité japonaise, de la politesse de façade, des mille courbettes et circonvolutions que la moindre petite chose provoque. Que se passe-t-il quand le masque se fissure ? Fukada connait bien la réponse et l’assène avec le même calme apparent que ses personnages. Cela pourrait rappeler Ohayo d’Ozu, mais le réalisateur explore des territoires plus sombres et viscéraux. Sa caméra se mue en une sorte de révélateur, comme s’il passait le Japon au scanner pour y révéler une énorme tumeur.

La maison des Kobayashi devient symbole d’un Japon aux idées étroites et à la xénophobie latente. Dans ce quartier sans histoires, on organise des patrouilles pour sécuriser les habitants, les sans-abris sont harcelés. Les membres se félicitent, s’applaudissent. Rien ne doit dépasser, tout est mis sous le tapis. Le ton devient encore plus grinçant que les machines à imprimer qui rythment la vie des Kobayashi. De l’inconfort et de la méchanceté pouvant rappeler les plus belles heures du cinéma danois des années 90, en ressort une sorte de jubilation. Les personnages passent tous au révélateur Kagawa, qui n’a pas grand-chose à faire pour trouver leurs failles et les exploiter. Le film joue sur l’escalade d’un conflit entre l’étranger et les Kobayashi bien trop lâches et protecteurs de leurs secrets pour résoudre la délicate situation.

Les véritables motivations de Kagawa ne seront jamais très claires. Est-il un des sans-domiciles qu’on expulse, un activiste, un homme voulant se venger ? Le flou entourant le personnage participe autant au malaise qu’à la démonstration que ce qui gêne foncièrement n’est pas ce qu’il veut, mais ce qu’il représente. Dans Harmonium, les intentions devenaient bien plus limpides, faisant basculer le film dans le drame familial. Ici, le trouble se poursuit jusqu’au bout.

Fukada filme donc des personnages troubles et ambivalents, fascinés par l’étranger (la sœur qui veut étudier aux Etats-Unis, la belle-mère qui apprend l’anglais à sa belle-fille) mais parfaitement à l’aise dans un entre-soi très facile. Les Kobayashi d’abord agacés, voire apeurés par la situation finissent par briser leurs chaines, le temps d’une séquence de fête cathartique aussi absurde que frappante. L’inconnu fait peur, mais il libère. La véritable menace vient de l’intérieur, de ces Japonais qui ne laisse rien filtrer, qui s’observent en chien de faïence, des voisines qui n’ont rien d’autre à faire que de dénoncer les étrangers fêtards à la police ou se répandre en paroles inutiles sur le quotidien d’autrui.

Hospitalité dénonce la petitesse d’un Japon qui doit s’ouvrir pour grandir. Le réalisateur ne détourne jamais sa caméra, laisse infuser le malaise avec une cruauté et une misanthropie qui fait rire jaune. Le point de vue de Fukada sur cette question épineuse ne laisse cependant pas de place à l’espoir.

Après la fête, il faut commencer à ranger. La cage d’oiseau restée désespérément vide durant tout le film est de nouveau occupée. A défaut de retrouver l’oiseau, on en rachète un identique, avec le sourire poli qui va avec. L’hospitalité dans le Japon de Fukada ne peut être que de façade.

Jérémy Coifman.

Hospitalité de Fukada Koji. Japon. 2010. En salles le 26/06/2021

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