Après avoir distribué l’année dernière trois des chefs d’oeuvre de Kitano Takeshi en version restaurée sur grand écran (L’Été de Kikujiro, Hana-Bi et Kids Return), La Rabbia nous les propose en version collector, au rythme d’un film par mois à l’approche de l’été. Chaque édition comprend le film en Blu-Ray et DVD, accompagné de la bande originale composée par Hisaishi Joe ainsi qu’un livret de 40 pages présentant à la fois l’oeuvre qui l’accompagne, son importance dans la filmographie de Kitano et le parcours de ce dernier. Si en avril dernier L’Été de Kikujiro avait ouvert le bal avec une édition remarquable autant d’un point de vue technique que ludique, Hana-Bi ne bénéficie pas du même traitement.
Le film : Que reste-t-il à ajouter et qui n’a pas déjà été dit sur l’importance du film de Kitano dans sa filmographie, où son style à la fois classique et moderne se marie à la perfection à un scénario où se mêlent drame et émotion. Sixième film du réalisateur, Hana-Bi referme de manière brutale la parenthèse plus légère ouverte avec les deux longs-métrages précédents qu’étaient Kids Return et Getting Any?, et Kitano renoue avec ce coté sombre et nihiliste qu’il avait commencé à développer dans Sonatine.
Dans Hana-Bi, Kitano interprète le rôle de Nishi, un flic qui va travailler pour les yakuzas afin de pouvoir offrir à sa femme mourante un ultime voyage. Ne pas se fier au résumé du film, car sous ses allures de polar noir comme le charbon, le film est une tendre et juste observation du temps qui passe, le délicat portrait d’un couple au bord du gouffre émotionnel (on sait dès le début du film que ça va très mal finir, d’une manière ou d’une autre), filmé par un Kitano qui laisse entrevoir une facette méconnue de son oeuvre (les peintures) et ose quelques audaces narratives pour retarder autant que possible l’inévitable. Hana-Bi est une oeuvre à la structure éclatée, avec un récit qui s’étale sur deux époques. L’une qui nous montre comment l’ami de Nishi termine en fauteuil après une fusillade qui a mal fini, et l’autre quelques années plus tard, avec ce même flic paralysé qui trompe son spleen et sa solitude entre peinture pour transcrire son mal-être (on peut y voir une projection de Kitano qui s’exprime aussi passionnément par ce medium que derrière une caméra) et Nishi qui fricote avec les yakuzas pour accompagner décemment sa femme dans un dernier voyage. Ces deux époques se convoquent mutuellement et les deux lignes temporelles s’entrelacent harmonieusement, les actes et choix d’un Nishi désabusé et se consacrant corps et âme à son mariage faisant souvent écho à ses actions passées, entre culpabilité plus ou moins assumée (et légitime) dans la fusillade meurtrière et lourde de conséquence pour son collègue, et passivité passée se transformant désormais en violence parfois outrancière et froide (la première rencontre entre Nishi et les homme de main au restaurant). Si l’on est bien devant un film de Kitano avec ce rythme parfois contemplatif d’où émergent des geysers de violence, on y retrouve aussi ces petites pastilles humoristiques durant lesquelles le réalisateur profite d’une accalmie pour filmer des petites plages de comédie, de légèreté parfois non-sensiques, que n’aurait pas renié un cinéaste comme Tati (la partie de base-ball sans queue ni tète entre deux services de police).
Paradoxalement, c’est ce qui fait la force de ce film qui risque de rebuter le cinéphile curieux de découvrir l’oeuvre de Beat Takeshi via ces rééditions, ce patchwork de saynètes, tantôt drôles, tantôt dramatiques, ce style parfois contemplatif, parfois nerveux et sec comme un coup de feu. Mais il serait dommage de se priver de ces conditions optimales pour apprécier à sa juste valeur la Kitano‘s touch, ce style et cette vision de l’humain, entre amour et violence, gravité et légèreté.
Le Blu-Ray : Nous en avions déjà eu la preuve lors des projections en 2017, mais force est de constater que l’éditeur La Rabbia ne s’est pas moqué du monde et offre au film une qualité remasterisée irréprochable. Les plus cinéphiles qui avaient usé leur DVD sorti chez Arte en 1999 et qui n’étaient pas à l’aise avec l’édition Blu-Ray UK sorti chez Third Window Films (et qui ne proposaient que des sous-titres anglais) vont être comblés. Le résultat saute aux yeux dès les premiers plans du générique avec ces dessins qui débordent de couleur, jusqu’aux dernières minutes du film, climax empli de tristesse sous un soleil éclatant. Justice est enfin rendue aux cadres travaillés de Kitano et leur profondeur de champs qui regorgent de détails (la partie de base-ball improvisée au fond d’une ruelle). On mentionnera aussi le soin apporté au son DTS qui met à l’honneur le score de Hisaishi Joe sans pour autant écraser les dialogues. Rien à signaler sur les menus, clairs et simples, avec au choix la VF ou la VO, avec ou sans sous-titres.
Les bonus : Après le gros morceau de L’Été de Kikujiro, c’est un peu la déception concernant le contenu des bonus de cette édition. Si le livret de 40 pages remplit son office informatif (on y parle à la fois du film et de sa production ainsi que du parcours de Kitano) et que le CD de la bande originale de Hisaishi Joe est toujours un beau cadeau qui permet de prolonger le plaisir du film, le reste des bonus est limité au strict minimum. Sont donc disponibles la bande-annonce créée à l’occasion des ressorties ciné de l’année dernière et un court making-of de 14 minutes. un petit quart d’heure durant lequel, entre deux photos de fleurs, on peut voir Kitano à l’oeuvre sur son tournage, entre rires et sérieux papal, avec un Beat Takeshi qui tente de faire de l’humour avec son accident de la route ou qui arrive à se coincer le doigt dans une sécurité de pistolet. Rien d’indispensable, l’ensemble ressemblant beaucoup à une featurette promotionnelle avec des petites interventions du réalisateur (filmées à l’époque du tournage, 1997 donc), et servant donc principalement à présenter les tenants et les aboutissants de son film. Pour le coup l’édition anglaise de Third Window Films proposait 30 minutes de documentaire de l’époque.
Si l’on passe outre la quantité réduite de bonus vidéo de cette édition, on ne peut que saluer le travail effectué par l’éditeur qui permet enfin de (re) découvrir le film de Kitano dans des conditions optimales, avec une qualité remarquable d’image et de son, accompagné de sa bande originale, le tout dans un très joli fourreau cartonné du plus bel effet, qui en fait un très bel objet de collection, entre L’Été de Kikujiro et Kids Return, prévu pour début juillet.
Hana-bi de Kitano Takeshi. Japon. 1997. En vidéo chez La Rabbia le 06/06/2018. Combo Blu-Ray + DVD + CD audio.
Romain Leclercq.