Depuis le 25 avril sur Netflix, il est possible de découvrir le dernier film de Yeon Sang-ho, le réalisateur du remarqué Dernier train pour Busan, film de zombie sorti il y a de cela deux ans au cinéma. Pour son nouveau métrage, le réalisateur coréen reste dans le cinéma en prises de vue réelles, après avoir mis en scène des films d’animation, et propose une relecture du thème du super-héros, dans un blockbuster mêlant comédie et action. Si sur le papier le pitch est prometteur, le résultat se montre parfois en deçà des attentes.
Alors qu’il fait une pause en montagne après une promenade, Seok-hyeon, agent de sécurité, absorbe une substance qui lui confère des dons de télékinésie. Il va mettre ses nouveaux pouvoirs au service de sa fille qui lutte face aux mafieux de son quartier qui veulent la déloger de son restaurant.
Hasard du calendrier, alors que sur tous les grands écrans de France et de Navarre déboule le nouvel épisode d’Avengers, c’est sur la plateforme Netflix que les plus réticents aux super-héros en costumes bariolés pourront trouver un palliatif aux explosions et bastons homériques concoctées par Mickey. Depuis le 25 avril, il est possible de découvrir le dernier film de Yeon Sang-ho, Psychokinesis. Le réalisateur est maintenant bien connu du public occidental, notamment grâce à son sur-vitaminé Dernier train pour Busan qui, malgré un thème archi-rebattu dans le cinéma de genre (le zombie), proposait une belle tentative de survival en espace clos, en l’occurrence un TGV infesté de morts-vivants, blindé de bonnes idées de mise en scène et au rythme ne faiblissant jamais.
Avec Psychokinesis, Yeon Sang-ho s’attaque donc au personnage de super-héros avec tout ce que cela implique de figures imposées, mais plutôt que de foncer tête baissée dans le spectaculaire bourrin et écervelé, il emprunte des chemins parfois étonnants, pour un résultat inégal, se traînant les mêmes défauts que Dernier train pour Busan, mais souvent jouissif.
En regardant Psychokinesis, on pense beaucoup à un autre film de super-héros apparu il y a peu de temps au cinéma : Jeeg Robot (Gabriele Mainetti, 2015). À cela plusieurs raisons. Tout d’abord les deux films sont des tentatives de divertissement ayant pour thème le super-héros, mais tournés loin des grands studios américains. Chacun a une identité propre (Jeeg Robot a une touche très européenne, production italienne oblige), tous deux basent leur scénario sur le même concept (l’absorption de produits chimiques se fait par immersion dans Jeeg Robot, et par ingestion dans Psychokinesis), et enfin nos deux héros qui s’ignorent semblent ne pas forcément avoir une farouche volonté de faire profiter le monde de leurs pouvoirs. A défaut de sauver l’humanité, ils pensent d’abord à régler leurs soucis (Jeeg avec la mafia, Seok-hyeon veut aider sa fille).
En ce qui concerne Psychokinesis, l’apprentissage et la bonne utilisation des pouvoirs du héros n’est pas immédiatement prétexte à de grandes envolées pompeuses à la Peter Parker avec ses grandes responsabilités. Yeon Sang-ho opte pour un traitement beaucoup plus léger, aux limites parfois de la grosse farce qui fait mouche, pour illustrer les talents de son héros. Usant à la fois du comique de situation (lorsque le père présente ses pouvoirs à sa fille, entre circonspection et grosse gêne) et du comique visuel (Seok a une furieuse tendance à se dandiner comme une danseuse vahiné lorsqu’il use de ses talents), Yeon essaie de rendre le plus crédible et ludique possible cette intrusion du fantastique dans un quotidien morose.
Car oui, sous des aspects souvent comiques, le fond du film est moins festif, Seok-hyeon se décidant à utiliser ses pouvoirs pour aider sa fille qu’il n’a pas vu depuis des années, alors que celle-ci doit affronter des promoteurs véreux qui ont tué sa mère qui essayait de leur tenir tête. Et c’est sur cet aspect, plus social dirons-nous, que le film pêche quelque peu. Si Yeon avait fait preuve avec ses films d’animation de beaucoup plus de rigueur et de profondeur psychologique (revoyez The King of Pigs et sa noirceur abyssale), le passage en prise de vue réelle avec Dernier train pour Busan, et maintenant avec Psychokinesis, semble se faire avec une baisse de régime en termes d’écriture dramatique. Dans son dernier film, il fait preuve d’un manichéisme parfois trop appuyé avec ses gentils commerçants sans le sou face aux très méchants promoteurs mafieux, sans oublier les médias qui déforment les faits pour asséner leur vérité. Le film flirte aussi dangereusement avec le mélo sans filtre lors des échanges entre Seok-hyeon et sa fille, là où de la retenue et quelques non-dits n’auraient pas été de trop.
Cependant, passés ces petits défauts d’écriture, Yeon Sang-ho confirme tout le bien que l’on pouvait penser de lui derrière une caméra, et met en scène un film d’action efficace et sacrément bien fichu. Si pour Dernier train pour Busan il avait réussi à assimiler les codes et figures imposées du genre du film de zombie pour les exploiter de la meilleure façon en redoublant d’idées de mise en scène, dans Psychokinesis, il évite le piège du spectaculaire à outrance, et opte pour une montée crescendo dans la démonstration des talents de son héros, qui va devoir passer de gros boulet froussard à defender en blouson pour sauver sa fille et son quartier, ce qui nous vaut trente minutes de climax complètement folles, entre comédie, émotion et action, un cocktail parfait que l’on ne retrouve plus depuis fort longtemps dans les films du MCU ou DCCU.
Avec son super-héros de fond de baraque à frites, Yeon Sang-ho livre une super production qui n’a rien à envier aux blockbusters américains, et qui prouve encore une fois qu’après des années d’omniprésence américaine sur le terrain du blockbuster, la Corée a fini par en extraire la substantifique moelle, tout en assimilant les codes et les enjeux, et peut désormais proposer des productions au budget conséquent, réalisées par des metteurs en scène à l’imagination débordante, et à l’efficacité redoutable. Pour autant, pour la suite des productions live de Yeon, il va être nécessaire de travailler un peu plus le fond (la forme étant irréprochable), et arriver à s’extraire des clichés « comédie lourdingues » qui pullulent dans le cinéma coréen pour ne pas tirer ses films vers le bas. Un peu de sérieux n’a jamais fait de mal.
Romain Leclercq.
Psychokinesis de Yeon Sang-Ho. Corée du sud. 2017. Fantastique. Disponible le 25/04/2018 sur Netflix