En avant le spectacle grandiose indien lors de cette 10e édition du festival international du film d’Okinawa avec Baahubali 2: The Conclusion de S. S. Rajamouli !
C’est en 2015, à la 21ème édition de L’Étrange Festival, alors que nous arrivions enfin au bout de notre marathon cinéphile de pellicules déviantes, nous fûmes récompensés par l’équipe de programmation qui avait préparé un bouquet final qui restera dans les annales. Sans trop de conviction, nous nous étions rendus à cette séance de clôture et rien ne nous avait préparé au choc Baahubali. Le film nous avait, en l’espace de 2h30, rassasiés de tous les rendez-vous manqués avec les films à grand spectacle hollywoodiens qui faisaient triste mine cette année-là. Le nom de ce nouvel héros indien – enfin, nouveau pour les profanes – avait donné un autre sens au mot épique. C’est peu dire que nous étions impatients de découvrir le deuxième et ultime volet de cette saga mythique. Et c’est avec un peu d’avance sur nos calendriers que nous avons pu le découvrir. Le moment est de savoir si S. S. Rajamouli est parvenu à transformer l’essai.
Avant de revenir un peu plus en profondeur sur les qualités et les quelques défauts du film, il est nécessaire de remettre certaines scènes dans leur contexte. Quand on vu la première moitié du métrage deux ans auparavant, on ne se souvient pas forcément des détails, et le résumé narré au début à tendance à brouiller les cartes. En effet, le générique du film représente les scènes clés de la genèse du héros que l’on a pu voir dans la première partie, celle de Mahendra Baahubali, qui part à l’aventure et à la recherche de ses origines, prêt à accomplir sa destinée familiale. Parmi ces scènes représentées, il y a celle de sa naissance, les mains de sa grand-mère le tenant alors nourrisson, lui, l’héritier légitime du royaume hors des flots, et la mort tragique de son père assassiné par son fidèle serviteur. Seulement, la narration ne reprend pas directement la suite du premier, à savoir l’aube de la reconquête de ses terres et de son palais légitime, mais se focalise sur la vie de son géniteur. L’histoire se passe donc dans le flashback et est narrée par Kattapa, oncle de Baahubali et bourreau de son père. Elle raconte les événements qui suivirent la fameuse bataille contre les Kalayekas au terme de laquelle Amarendra est déclaré roi, jusqu’au meurtre commandité de cette figure légendaire par son frère, le perfide Balla.
Nous avons donc un récit en trois actes qui brasse, au travers de sa narration, de nombreux genres cinématographiques très populaires en Inde et confirme cette impression de fourre-tout assez jouissif. Dans la première partie, nous suivons les pérégrinations d’Amarendra, accompagné de son fidèle Kattapa, partis à la rencontre du peuple, afin de prendre conscience des besoins des occupants de son royaume avant d’occuper sa fonction de souverain. Au cours de cette aventure, ils vont faire la connaissance de la très belle Davasena, princesse guerrière dont la silhouette gracile se dévoile lors d’un combat à mesure que son épée fend le tissu qui cache son joli visage. Il n’en faudra pas plus à notre héros pour tomber amoureux et d’entreprendre de conquérir son cœur. Le film plonge tout entier dans le genre de la comédie romantique. Amarendra joue les patauds bien décidé à gagner le cœur de la belle en mettant en avant ses qualités humaines au détriment de son titre royal. Il devra alors déjouer les provocations de son rival, cousin gentiment arrogant de la princesse. Le cinéaste fait preuve d’une réelle maîtrise des ressorts comiques et des situations et nous offre un trio amoureux assez séduisant avec ses compétitions amoureuses, ses quiproquos et un humour bien rôdé. Le film est alors tout sucre, très coloré, et offre une vraie scène de comédie musicale indienne très entraînante avec son cortège de femmes en saris. Seulement, en coulisse, le frère Balla, ambitieux et vexé de s’être fait ravir le trône, complote. En parallèle se joue donc une véritable pièce shakespearienne où se joue l’avenir du royaume.
A mesure que les deux intrigues se fondent, S. S. Rajamouli sculpte couche par couche la stature mythologique de son héros. Amarendra Baahubali est un surhomme, car tout ce qu’il fait est du domaine du superlatif. Il est beau, intelligent, honnête et droit comme la justice, la moustache virile et sa chevelure continuellement caressée par la douce brise d’un ventilo hors champs. Le cinéaste sur-iconise son personnage à grands renforts de ralentis ; il prend des poses outrancières dans la moindre situation et son attitude qui suggère voire démontre sa supériorité aussi bien morale que physique. Il est un surhomme au sens noble du terme, mais aussi un sur-macho. Car la belle princesse au caractère indomptable et à la dextérité de guerrière amazone devra se résigner devant la supériorité de son prétendant. Ses qualités athlétiques et ses convictions font d’elle, finalement, une femme digne de Baahubali. Mais ce dernier ne prend pas les sentiments à la légère et reste, quoiqu’il advienne, fidèle à la promesse d’amour faite à sa belle et la protégera contre vents et marrées. Et c’est ce qui est fascinant chez ce personnage. Même quand il fait preuve d’humilité, il triomphe et bâtit un peu plus sa propre légende. Banni, lui qui était appelé à régner, en vivant parmi le peuple, il se découvre des talents d’ingénieur insoupçonnés et invente des tas de machines pour soulager le labeur de ses modestes fidèles. Tout dans le film est à la mesure de sa grandeur. Un costume bien grand dans lequel son fils devra, à l’issue d’un combat épique, se montrer digne. Une bataille qui lui permettra de réhabiliter sa mère en tant que souveraine douairière au terme d’un rite semé d’embûches et d’accéder au trône.
Le cinéaste convoque de multiples influences cinématographiques pour trouver le juste écrin à son héros. S’il est évident que S. S. Rajamouli s’inspire de Peter Jackson pour insuffler un élan épique et mythologique à son film, il emprunte aussi généreusement à Zack Snyder pour son goût du plan iconique et s’absout des frontières entre le bon et le mauvais avec la même dextérité qu’un Michael Bay. A l’image de son héros, le réalisateur est dans l’excès maîtrisé donnant dans le sur-signifiant et le symbolisme outrancier. Tout participe à l’ascension de son héros, il met un soin d’orfèvre aux moindres détails que ce soit dans les décors, costumes et autres designs, et la palette de couleurs nous donne l’impression d’assister à un concours de pâtisseries. Si cela peut paraître assez kitsch, le film n’est jamais ringard tant il parvient à trouver dans cette accumulation de surenchère un équilibre parfait. Seule la qualité des effets spéciaux pâtit du manque de moyens, mais qu’importe, ce qui comptent ce sont les idées de mise en scène et il les enchaîne de manière vertigineuse et sans aucun filtres. Il raconte un récit mythique tel qu’on les transmettait oralement autrefois, chaque narrateur y ajoutant sa pâte artistique. Pas de soucis, Baahubali père et fils ne sont pas esclave des règles de la physique, ils envoient valdinguer leurs adversaires tels des mannequins en mousse, et Mahendra, dans son assaut final, fait preuve de stratégies particulièrement farfelues pour mener le siège du palais. Des pratiques peu orthodoxes que n’aurait pas reniées le Coyote de Chuck Jones. A la différence près que Baahubali est super balèze en math et ne se trompe pas dans les calculs de trajectoire.
Baahubali remplit dûment sa mission et conclut brillamment son récit. Il y a dans ces outrances visuelles et narratives un goût sincère pour le cinéma à grand spectacle et on ressent un enthousiasme communicatif pour ne pas dire contagieux de la part du cinéaste à divertir le public. A condition bien sûr de se laisser aller et de faire preuve d’ouverture d’esprit, Baahubali est un spectacle généreux, qui vous fera passer 3 heures de bonheur. A ne rater sous aucun prétexte !
Martin Debat.