L’Etrange Festival – Alipato de Khavn : Manille est une fête

Posté le 23 septembre 2016 par

Après le coup d’éclat Ruined Heart en 2015, L’Étrange Festival a programmé un des nouveaux films du philippin Khavn de la Cruz, Alipato : the Very Brief Life of an Ember, lors de son édition 2016. Expérimentations visuelles, violences gratuites et enfants meurtriers dans une Manille misérable et ultra-violente. Pas de doute : Khavn est toujours aussi agité.

Après l’esthétisme christopher-doylien de Ruined Heart, Khavn retourne à une image plus sale, mais très colorée, malgré la fumée et la crasse omniprésentes. Le film s’ouvre par une scène de fête de rue – un classique des films de Khavn – où la caméra déambule avec tremblement parmi les badauds, sous le rythme énergique des pétards et de musique de transe endiablée. Manille est une fête. Plutôt : Mondomanila est une fête du crime. Mondomanila est cette Manille célébrée par Khavn depuis plusieurs films. Une Manille peuplée d’enfants désœuvrés et délinquants ; des orphelins criminels bercés au son des pistolets automatiques, entre deux larcins et trois meurtres crapuleux. L’avenir du monde. En 2012 déjà, Khavn avait déjà mis en scène dans Mondomanila, un détournement de documentaire sensationnaliste, cette jeunesse violente en roue libre. Dans Alipato, le réalisateur reprend le même point de départ en filmant l’épopée criminelle du gang Kostka, dans le Mondomanila de 2025 – mais pas futuriste pour un sou, bien au contraire.

alipato brief life of an ember

Khavn souhaite-t-il donner une image détestable de Manille ou se moquer des préjugés portés à la ville ? Le film commence par une série de citations dont une faisant référence à l’un des pires souvenirs des Beatles : leur court séjour à Manille en 1966 qui tourna au cauchemar quand le groupe offensa la famille présidentielle Marcos et manqua de se faire lyncher par la foule à l’aéroport. John Lennon déclara même : “Si on retourne dans ce pays, ce sera avec une bombe nucléaire.” Une autre citation accompagne celle des Beatles, celle de Muhammad Ali sur son troisième combat contre Joe Frazier, pour le titre de champion du monde poids lourds de boxe anglaise. Thrilla in Manila ! Manille ne pouvait pas être mieux introduite sous les auspices de la survie et de la castagne !

L’aspect pseudo-documentaire apparaît dès la deuxième scène du film, dans laquelle un journaliste de télévision (“National Pornography”) présente le bidonville de Mondomanila : dans les rues boueuses et enfumées bordées de taudis en tôles, les pauvres habitants vivent en fabriquant du charbon, unique “industrie” possible. En contrepartie de ce qui s’annonce comme du poverty porn, Khavn distille quelques commentaires acerbes. Sur l’écran de télévision diffusant “National Pornography”, des bandeaux d’actualité annoncent des informations grotesques (ou pas) comme : “Les membres survivants de U2 n’ont rien à redire à la famine en Afrique”. Cette introduction fait bientôt place à la présentation des protagonistes de ce film : le gang Kostka. Des petites frappes âgées environ de 5 à 15 ans, gangsters plus violents (et juvéniles) que les drougs d’Orange Mécaniques. Dans de longues scènes tournées en plan séquence – à la manière des respectables documentaires ethnographiques -, Khavn tourne autour de ces êtres miséreux. Une auscultation filmique. Ça jure, ça crache, ça pisse, ça fume à la chaîne, ça braque des supérettes et des taxis, ça tue sans sommation.

Khavn alipato

Khavn pousse la provocation très loin, avec une volonté parfois lourde de choquer le bourgeois, comme dans ce plan fixe sur une fillette de 5-6 ans au milieu d’un terrain de basket, flingue à la main et cigarette à la bouche. Malaise chez le spectateur. Les scènes s’enchaînent, toujours les mêmes : un larcin en bande organisée suivi de plans fixes sur des pierres tombales. À Mondomanila, on vit et on on meurt en quelques secondes. Peu importe. Le gang continue inlassablement ses meurtres. D’autres plans fixes sur des pierres tombales. D’autres meurtres. D’autres pierres tombales. Le systématisme de Khavn s’essouffle peu à peu, malgré les provocations, avant qu’une ellipse projette le spectateur en 2053. Mondomanila, the aftermath. La seconde partie du film est plus sage et légère mais Khavn parvient à trouver… une morale et une humanité là où on ne s’y attendait pas.

Au final, Alipato est un film cohérent, suite énervée du Mondomanila de 2012, à l’esthétique et au propos crades. La fange, la braise, la fumée épaisse, l’odeur de soufre des flingues… Khavn façonne ses êtres voués à briller vite pour s’éteindre aussitôt. Alipato signifie « éclat de braise qui saute du feu et se pose sur le sol » avant de s’éteindre définitivement. Et oui, Alipato est une fable.

Marc L’Helgoualc’h.

Alipato : the Very Brief Life of an Ember de Khavn de la Cruz. Philippines. 2016. Présenté à L’Etrange Festival 2016 (Forum des Images).

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