S’il y a bien un réalisateur japonais qui n’a pas disparu ces dernières années, c’est Kurosawa Kiyoshi. Avant que nous disparaissions (Before We Vanish) nous arrive en salles le 14 mars, juste après sa tentative française (Le Secret de la chambre noire) et Creepy l’an passé, alors que son nouveau projet est déjà prêt : Invasion, le montage cinéma de la série Yocho Sanpo Suru Shinryakusha Gekijoban. Rencontre avec le réalisateur venu présenté son incursion dans la Science-Fiction politique à Cannes dans la section Un Certain regard.
S’il s’était fait plutôt rare entre 2008 et 2012, où il s’était perdu dans un projet titanesque avec la Chine, Kurosawa Kiyoshi semble avoir décidé de rattraper le temps perdu et a négocié depuis sa mini-série Shokuzai un come-back conquérant, œuvrant dans tous les genres, entre les pays et les formats (le clip, les films, les séries). Deux ans après Vers l’autre rive, qui lui avait valu le Prix de la mise en scène, le réalisateur revient à Un Certain regard présenter Avant que nous disparaissions. Il y met en scène les prémisses d’une invasion extra-terrestre très conceptuelle, et s’amuse à brouiller les pistes entre les genres : mélodrame, science-fiction paranoïaque, film d’action ou comédie – tous les genres sont harmonieusement mixés sans un film à la tonalité unique, qui prouve la capacité infinie que semble avoir le cinéaste à se renouveler à chaque projet. Nous avons profité de sa venue à Cannes pour évoquer avec lui les mutations de son cinéma, son amour pour le genre et ses nouveaux projets.
Quelle est l’origine de Avant que nous disparaissions ?
Tout a commencé il y a 6 ans, après avoir terminé Tokyo Sonata. Pendant plusieurs années, je n’ai pas pu faire de film. Pendant ce temps, j’ai découvert la pièce qui m’a servi de base pour le scénario de ce film.
On pense en voyant le film aux classiques de la S.-F. politique comme L’invasion des profanateurs de sépultures de Don Siegel. Souhaitiez-vous avec ce film vous inscrire dans cette tradition hollywoodienne ?
Je suis vraiment honoré d’être mis en relation avec ce genre. C’est un genre qui reste encore très vivace aux Etats-Unis, peut-être de manière plus spectaculaire qu’avant, alors qu’’il est quasiment impossible à faire vivre dans le reste du monde, y compris au Japon. Au Japon, nous avons des films qui peuvent ressembler à cela, mais ça va être des films de Kaijus (ndr – montres géants, type Godzilla) ou des films d’animations, mais rarement en prise de vues réelle. C’était mon rêve de faire un film de genre comme ça.
Il y a dans le film une scène où le personnage du journaliste s’adresse à la foule et la met en garde contre l’invasion extra-terrestre, mais personne ne l’écoute. Vouliez-vous faire passer un message politique avec ce film ?
Oui. Cette scène était déjà dans la pièce originale, mais c’est bien l’un des messages que le film veut faire passer. Ce journaliste est comme une métaphore. Il représente la situation actuelle du Japon. Il a un regard ironique sur la situation dans laquelle nous sommes au Japon aujourd’hui. Je peux clairement dire que c’est un message adressé aux Japonais. Aucun dialogue ne dit clairement qu’il y a une peur du monde extérieur, mais le fait de montrer des aliens qui viennent nous envahir est une métaphore d’un état de guerre à venir, mais personne au Japon ne semble vouloir faire quoique ce soit.
Est-ce à cause de cela que les aliens vont au Japon, seulement là, et pas dans une autre partie du monde ?
Pas vraiment. C’est plutôt pour des raisons de budget. À l’origine, ils devaient aller partout dans le monde.
La musique est employée de manière très originale dans le film, comme si vous jouiez avec les attentes du public. Comment avez-vous envisagé l’utilisation de la musique dans Avant que nous disparaissions ?
J’ai demandé au compositeur d’utiliser différents types de styles musicaux. Ce film est un film d’invasion, mais pas seulement : c’est aussi une romance et une comédie. Je pense que pour chacune de ces parties, la musique est primordiale. J’ai demandé à mon compositeur de faire des choses très distinctes suivant le type de scène. C’est ce qui a dû impressionner les spectateurs. Je lui ai demandé de faire quelque chose facile à comprendre et à retenir. Comme référence, je lui donné les compositions d’Ennio Morricone des années 70.
Comment est-ce que vous choisissez vos compositeurs ?
Je les choisis selon mes sentiments, presque à l’instinct. J’écoute leur musique et tout dépend de ce que j’en pense. Rien n’est intellectualisé, tout vient de mes sentiments pour la musique. Si je n’aime pas une musique, même si elle colle bien à une scène, il peut m’arriver de ne pas l’utiliser.
Après Seventh Code, c’est la seconde fois que vous filmez des scènes de combat et d’arts martiaux dans un film. Comment avez-vous travaillé avec votre actrice ?
C’était assez fun à faire. Mon actrice s’est entraînée pendant 7 semaines avec moi et un spécialiste des scènes d’action. Pour le tournage, elle a joué ces scènes de manière continue, sans coupes, et je filmais avec deux caméras pendant 5 minutes. C’est ensuite au montage que tout a pris forme. Dans ces conditions, les acteurs se fatiguent très vite. Le mouvement n’est plus très clair et c’est justement ce que je cherchais : des mouvements imprévisibles.
Il y a dans ce film des explosions en plan-séquence, des scènes d’action impressionnantes. Aviez-vous un budget confortable pour réaliser tout cela ?
Je ne peux pas dire que j’avais un budget confortable, mais il était supérieur à mes précédentes réalisations, environ une fois et demi plus. Mais comparé à Hollywood, ce n’est pas grand-chose. Pour la scène de fin avec les explosions, c’est quelque chose que je voulais faire depuis que j’ai lu le roman d’H. G. Wells, La Guerre des mondes. J’adore cette histoire, et je m’étais juré de faire quelque chose dans ce ton si jamais je réalisais un film de science-fiction.
Vous travaillez dans tous les genres, est-ce que vous reviendrez même au film érotique comme à vos débuts ?
Oui, mon premier film était un pinku. J’ai ensuite réalisé un roman-porno : The Excitement of the Do-Re-Mi-Fa Girl. Mais les producteurs n’ont pas vraiment aimé car ça ne ressemblait pas du tout à un roman-porno. On ne m’en a ensuite plus jamais proposé (rires). Je travaille toujours selon le genre du film que je fais. Mon rêve est de faire des films dans tous les genres possibles. Un jour, j’aurai fait des films dans tous les genres qui existent dans le monde ! Si on reste dans un unique genre, les gens pensent que l’on est spécialiste de ce genre et les producteurs commencent à penser que l’on ne peut faire que ça. Je veux éviter ça, et c’est pourquoi j’essaye de faire toujours des choses dans des genres différents.
J’adore les films de genre. Je pense que ceux-ci ont été définis pendant la période classique d’Hollywood. C’est donc impossible de les retranscrire dans le contexte japonais contemporain. Il faut adapter les genres pour pouvoir les utiliser aujourd’hui.
Quel genre de réalisateur êtes-vous sur un tournage ?
C’est compliqué de me juger moi-même. J’espère être quelqu’un de flexible, amical et sympathique. (rires) En tout cas, j’aimerais être comme ça ! Ma politique sur un tournage est de faire en sorte que l’on puisse travailler ensemble, car il y a beaucoup de gens sur un tournage. Il faut savoir utiliser toutes les ressources des gens qui participent pour travailler correctement. Il y a plusieurs types de réalisateur, certains ne se concentrent que sur le jeu des acteurs, d’autres restent derrière leur moniteur… J’essaye de faire attention à tout : aux acteurs, à la lumière, au maquillage, à la technique… À tout ! Tout est essentiel dans un film.
Travaillez-vous déjà sur un nouveau projet ?
Je ne suis pas sensé trop en dire, mais je travaille pour la télévision. C’est une mini-série qui sera dans le ton de Shokuzai. Le tournage est terminé et je suis en train de faire le mixage sonore. Il y aura aussi sans doute un montage pour le cinéma. [ndlr – Il s’agit d’Invasion, présenté à Berlin, à découvrir en salles en France le 20 juin prochain. Sorti au Japon le 11 novembre, il s’agit d’un montage cinéma de la série Yocho Sanpo Suru Shinryakusha Gekijoban, également réalisée par Kurosawa et adaptée d’une pièce de théâtre qui a aussi servi de matière pour Avant que nous disparaissions. La version cinéma du drama, d’une durée de 140 minutes, a été distribuée seulement pendant deux semaines au Japon.]
Propos recueillis par Victor Lopez à Cannes le 22/05/2017.
Remerciements : Michael Arnon, Rachel Bouillon.
Avant que nous disparaissions de Kurosawa Kiyoshi. Japon. 2017. En salles le 14/03/2018.