Hong Sang-soo était à l’honneur cette année à Cannes puisque deux de ses nouveaux films étaient présentés, Le Jour d’après en Compétition et La Caméra de Claire en Séance Spéciale. Retour sur ce dernier à l’occasion de sa présentation en avant-première au 24ème Festival International des Cinemas d’Asie de Vesoul, avant sa sortie en salles le 7 mars prochain.
On dit souvent des films du cinéaste sud-coréen qu’ils se ressemblent, avec des histoires de femmes et d’hommes, de crises de couples, de rencontres, d’adultères… Ce sont souvent les mêmes thèmes qui reviennent encore et encore, et autant de variations autour des vicissitudes de la vie coréenne. La richesse de son cinéma repose sur son sens du détail, sur les infimes changements de point de vue, de cadre, sur les différentes manières de filmer ces scènes de réunion ou de repas, souvent alcoolisés, où les personnages déballent ce qu’ils ont sur le cœur. Il y a une science du dialogue chez Hong Sang-soo que l’on ne retrouve nulle part ailleurs. Une manière de rythmer chaque réplique, d’étirer les silences, de laisser le sujet de la discussion entre parenthèses pendant plusieurs minutes pour faire ressortir un bref moment où le regard des personnages dit plus de choses que de simples paroles. Et plus que tout, les histoires de mœurs et autres marivaudages qui parcourent la filmographie du réalisateur, semblent toucher au réel, au quotidien, comme si vie et cinéma étaient intimement liés.
Hong Sang-soo a dernièrement été impliqué dans une affaire de mœurs qui a fait scandale en Corée du Sud. Depuis le tournage d’Un jour avec, un jour sans, des rumeurs l’accusent d’avoir trompé sa femme, qui produit la plupart de ses films, avec l’actrice Kim Min-hee, devenue sa muse, qui apparaît dans quasiment tous ses derniers longs-métrages. Ils ont officialisé leur relation il y a quelques mois, faisant fi de la désapprobation extrême venant du pays du matin calme, au risque de mettre leur carrière respective en danger. Mais peu importe au final, Hong Sang-soo continue à faire ses films avec deux-trois bouts de ficelle, et Kim Min-hee adore tourner avec lui. Il lui offre des rôles magnifiques, elle le lui rend bien en incarnant avec délice chacun de ses personnages.
C’est dans ce contexte houleux que s’est tourné, dans le plus grand secret, La Caméra de Claire, pendant le 69ème Festival de Cannes. Forcément influencé par ce qui se passe dans sa vie à ce moment-là, Hong Sang-soo déploie un petit film d’à peine 1h10 pour raconter l’histoire de Man-hee (Kim Min-hee donc), une employée de boîte de production soupçonnée d’avoir couché avec le réalisateur et licenciée par sa patronne. Errant dans les rues cannoises, elle rencontre Claire (Isabelle Huppert, qui tourne pour la deuxième fois avec le cinéaste), une enseignante venue passer du bon temps sur la Croisette, armée de son polaroïd. Dans cette balade au sein des chemins de traverse cannois, filmés comme les petites rues de Séoul, le plus intéressant reste sans doute ce rôle de catalyseur que va jouer Claire auprès des autres personnages, notamment auprès de Man-hee, essayant de recoller des bouts de vie éparpillés, comme elle capturerait différents instants avec son appareil pour mieux les rassembler et revoir les événements sous un nouveau jour. Les choses se dénoueront au fil de longues scènes de discussion plus ou moins anecdotiques, malgré le savoir-faire de Hong Sang-soo. La légèreté de la relation entre Claire et Man-hee reste le principal intérêt du film, les deux autres personnages (le réalisateur et la patronne) étant assez sommaires dans leur caractérisation.
Ce personnage de catalyseur, remède aux atermoiements des autres personnages, est aussi présent dans Le Jour d’après. Cette fois c’est Kim Min-hee qui l’incarne, comme un cadeau lumineux offert par Hong Sang-soo. Un personnage de témoin, au centre d’un quiproquo provoqué par les mensonges habituels issus du triangle amoureux cher au cinéaste. Ici, Bong-wan (Kwon Hae-hyo), le patron d’une maison d’édition, trompe sa femme Hae-joo (Cho Yun-hee) avec son employée Chang-sook (Kim Sae-byuk), qu’il est obligé de licencier. Areum (Kim Min-hee) est recrutée à sa place mais sera identifiée comme la maîtresse de Bong-wan par Hae-joo, d’où l’imbroglio qui va se créer entre les personnages. Sorte de pendant nébuleux à La Caméra de Claire, le deuxième film présenté à Cannes par Hong Sang-soo se veut plus complexe narrativement parlant, puisque le réalisateur alterne entre passé et présent à plusieurs reprises, jouant sur les ellipses et les flashbacks, pour nous faire ressentir le désordre créé par la lâcheté de Bong-wan. Pendant la première partie, on voit l’éditorialiste s’enfoncer irrémédiablement. Le pauvre ne sait plus où donner de la tête lorsqu’il doit répondre de l’humiliation qu’il fait subir à son entourage féminin. Une impression pesante s’installe petit à petit, renforcée par un noir et blanc que l’on n’avait pas vu depuis The Day He Arrives. Hong Sang-soo place le personnage face à ses propres contradictions en jouant sur la répétition des cadres et des plans, et seule Areum, d’abord confrontée à l’irresponsabilité de Bong-wan, sera capable d’équilibrer la balance, offrant une alternative au désespoir de l’homme compromis.
De ces joutes verbales entre les différents protagonistes, Hong Sang-soo tire une nouvelle fois un film maîtrisé et délicat, et parvient à livrer une autre réponse, plus sombre et profonde, au questionnement intime qui l’obsède encore et toujours. On rappelle également qu’il a réalisé un autre film, On the Beach at Night Alone, présenté à Berlin, qui a valu un prix d’interprétation féminine à Kim Min-hee. Une troisième variation que l’on a hâte de découvrir.
PODCAST
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Nicolas Lemerle.
La camera de Claire de Hong Sang-soo. Corée. 2016.
Projeté au 24ème Festival International des Cinemas d’Asie (FICA) de Vesoul.