L’Okinawa International Movie Festival commence fort ! Après une « Welcome Party » digne d’un banquet, avec petits fours, concert de J-Pop et spectacle de danse traditionnelle, voici venu le début des festivités cinématographiques. Et on commence par le film d’animation Dans un recoin de ce monde, ou In the Corner of this World, de Katabuchi Sunao, qui est sorti au Japon en novembre 2016. Pour nous, Français, il faudra attendre un peu, jusqu’au 20 septembre 2017. On peut déjà vous dire qu’il ne faut pas rater ce film !
Il y a encore quelques mois, on se demandait qui pourrait prendre la suite de Ghibli. Nous ne doutions pas que le cinéma d’animation japonais regorgeait de pépites mais nous ne les avions pas toutes découvertes. Finalement, la pause initiée par le studio mythique japonais concernant la production de longs métrages a permis à d’autres cinéastes de se faire une place. Et ce sera sûrement le cas de Katabuchi Sunao. Ayant fait ses armes d’abord à la télévision puis avec Miyazaki sur Kiki la petite sorcière, il tourne son premier long en 2009, Mai Mai Miracle, sorti en DVD en France en 2010. Adapté d’un roman, ce premier essai, quoique imparfait, suivait une fillette pleine d’imagination dans l’après-guerre.
Huit ans plus tard, après une campagne de crowdfunding, il revient avec Dans un recoin de ce monde, qui a déjà fait un tabac au box-office japonais. Le succès critique est également au rendez-vous puisque le film a été primé dans de nombreux festivals japonais, notamment le Blue Ribbon Awards et le Japan Academy Prize. Adapté du manga de Kuno Fumiyo, le film suit la jeune Urano Suzu, née en 1926 à Hiroshima. A 18 ans, elle est demandée en mariage et va vivre dans sa belle-famille à Kure, ville qui dispose d’un port militaire. La guerre s’installe et le quotidien devient de plus en plus difficile pour Suzu. Malgré cela, la jeune femme garde une certaine joie de vivre. Gestion de la maison, ravitaillement, vie de famille et de couple… autant de paramètres à prendre en compte dans ces conditions difficiles qui ne semblent pas s’améliorer avec les premiers bombardements.
L’action du film se déroule donc sur une longue période, entre 1933 et l’automne 1945, soit quelques mois après le bombardement d’Hiroshima. Le spectateur suit le quotidien de Suzu, campagnarde parmi tant d’autres dans ce recoin du monde. Jeune fille étourdie, à l’instar de l’héroïne de Mai Mai Miracle, elle vit un peu dans son monde, mêlant réalité, parfois dure car le pays est en guerre, et rêve, notamment par le biais du dessin, art dans lequel elle excelle. Dès sa plus tendre enfance, Suzu navigue entre ses tâches quotidiennes et le monde tel qu’elle l’imagine. Des scènes font inévitablement penser aux films de Miyazaki Hayao, par exemple celle où elle raconte à sa sœur qu’elle s’est faite enlever par un géant qu’elle a réussi à endormir en lui demandant de regarder à la jumelle, qu’elle avait préalablement recouverte d’un dessin de ciel étoilé ; ou celle où elle pense avoir rencontré un fantôme affamé chez ses grands-parents. Certaines ont une explication rationnelle (le fantôme est en réalité une enfant pauvre, que Suzu retrouvera par la suite), d’autres non. Le spectateur est donc plongé dans ce monde quasi-fantastique et ce, jusqu’à la fin. Toute scène de la vie quotidienne est prétexte à une réinterprétation artistique, même lorsque le ciel se remplit d’avions et de bombes. Suzu avoue elle-même lors d’une attaque aérienne : « si seulement j’avais un pinceau ». Rarement une scène de guerre n’aura été vue dans un film d’animation sous cet angle, les bombardements se transformant peu à peu en tâches de peinture multicolores.
L’imagination débordante de l’héroïne et sa mise en scène artistique font de Dans un coin de ce monde un film très différent de ce qu’on aurait pu attendre. Quand on parle de la Seconde Guerre mondiale en animation, on pense évidemment à Takahata Isao et son sublime Le Tombeau des lucioles. Ici, point de pathos (même si Takahata l’a très bien réussi). Katabuchi se contente de raconter une histoire, celle d’une jeune fille, entourée par sa famille puis par sa belle-famille, en plein milieu d’une guerre qui la dépasse et dont elle ne prend conscience que tardivement par le biais des raids aériens, qui impactent sa vie quotidienne. Peu à peu, l’ambiance du film se veut moins optimiste : la vie devient plus difficile, des proches meurent, d’autres sont blessés ou mobilisés par la guerre. Pourtant, à part une scène ou deux, la mise en scène demeure colorée comme pour montrer que la vie continue, malgré tout. Le film est amoral voire optimiste par moment, certes, mais demeure ancré dans la réalité. Suzu, point focal du film, subit quelques crises d’abattement. Mais l’amour pour sa famille et son mari ainsi que l’entraide que chacun essaye de perpétuer permettent à notre héroïne de se relever à chaque fois plus forte. Katabuchi, par ce procédé, n’essaye pas pour autant de faire preuve d’un patriotisme quelque peu mal placé. Il ne se prononce pas et laisse ses personnages évoluer au gré des saisons. Il pointe par-là une certaine réalité : le quotidien des Japonais ébahis devant tant de navires militaires dans la baie d’Hiroshima, les enfants courant après les sauveurs américains mais surtout, une vie faite de petits moments, et non pas de questionnements sur la guerre. Le cinéaste utilise d’ailleurs de nombreuses ellipses pour mettre en exergue ces instants de vie, qui sont parfois apposés côte à côte à des années d’écart sans forcément de liens logiques. Même la catastrophe nucléaire d’Hiroshima est vécue à distance, les habitants se demandant ce que sont ces lumières étranges dans le ciel ainsi que ce nuage qui reste en place.
Dans un recoin de ce monde est un film poétique, mettant en scène le destin de quelques vies et non pas celui d’un pays. Un parti pris audacieux qu’on aurait tort de bouder.
Elvire Rémand.
Dans un recoin de ce monde de Katabachi Sunao. Japon. 2016. Sortie française prévue le 20/09/2017.
Projeté lors de la 9e édition de l’Okinawa International Movie Festival.