VIDEO – Coffret Animerama : Mille et Une Nuits/Cleopatra de Yamamoto Eiichi et Tezuka Osamu

Posté le 4 août 2018 par

Après la découverte de Belladona il y a deux ans, Eurozoom édite les deux premier volets de la trilogie Animerama du Studio Mushi : Mille et Une Nuits et Cleopatra.

Mille et Une Nuits : Orient coquin

Mille et Une Nuits est le premier volet de la trilogie Animerama produite par les studios Mushi de Tezuka Osamu. A la fin des années 60, les réussites de Mushi sont des séries d’animations TV pour enfant dont il fut le pionnier (Astro le petit robot, Le Roi Léo…) mais Tezuka souhaite élargir son public à une audience internationale. Pour cela, il va s’orienter vers l’animation pour adultes et plus précisément érotique, terrain encore vierge non seulement au Japon mais aussi en Occident où Fritz the Cat de Ralph Bakshi (1972) et autres Tarzoon La Honte de la jungle (1975) n’arriveront que plus tard. Après avoir hésité avec Faust, le choix est fait d’adapter (très librement) les Mille et Unes Nuits. Puisque le synopsis n’a pas plu au producteur, Tezuka Osamu délègue la réalisation à son fidèle collaborateur Yamamoto Eiichi.

Belladona, le troisième volet du cycle, est le plus connu en France puisqu’il a eu droit récemment à une ressortie en salle. Yamamoto s’y était alors totalement émancipé de l’influence de Tezuka avec une œuvre onirique, gothique et expérimentale. Mille et Une Nuits fut supervisé de plus près par Tezuka et cela se ressent tant le film demeure « accessible » tout en se montrant audacieux. Le chara-design « cartoonesque » des personnages est ainsi typique du style Tezuka, soulignant par des traits simple la nature facétieuse d’Aladin, la pureté de Miriam et Jaris, la sournoiserie du méchant Budley et le charme vénéneux des diverses créatures féminines séductrices. L’érotisme oscille entre le romantisme flamboyant (tout ce qui concerne les couples Aladin/Miriam puis Aslan/Jaris) et coquinerie amusée, notamment l’épisode où Aladin sera coincé sur une île peuplée de créatures de rêve. On retrouve l’influence de Disney, fréquente chez Tezuka, avec les interludes oniriques traduisant de façon stylisée l’étreinte de deux amants. Si l’idée s’inscrit dans les tendances flower power du moment, impossible de ne pas faire le rapprochement avec les passages hallucinés de Dumbo (1941) mais cette fois, porté par une sensualité et un psychédélisme envoûtants.

Les élans féministes de Belladonna se devinent pourtant déjà là, les amours contrariées venant d’un déterminisme social (Aladin comme Aslan sont démunis et se confrontent aux nantis pour leur aimée) et de genre où la beauté est une malédiction pour les héroïnes. L’assouvissement charnel n’existe qu’en cédant à la monstruosité physique – la vraie nature des nymphes de l’île où se délecte Aladin – ou morale à travers les différents méchants du film et Aladin lui-même gagné par l’autoritarisme après s’être élevé socialement. Les personnages des lutins sont emblématiques de cette idée, observateurs à la fois bienveillants et envieux des humains. Leur nature transformiste et leur sexualité débridée les rapprochent ainsi de l’inconséquence humaine présente tout au long du film et symbolisée par Aladin.

L’Orient de bande-dessinée est foisonnant et inventif de bout en bout et voit un déluge de couleurs (nuancées et subtiles dans l’illustratif ou homogènes et outrées dans les instants plus dramatiques), de décors rococo et de situations outrancières. L’un des grands moments est à ce titre le défi de richesses entre le calife et Aladin, prétexte aux extravagances les plus folles où des objets modernes (tourne disque, télévision) s’immiscent dans le duel. Les éléments propres au vrais contes des Mille et Une Nuits sont largement remaniés (la caverne d’Ali Baba, la lampe merveilleuse) et mariés à la mythologie et tragédie grecque – L’Odyssée en tête avec une réminiscence de Circé ou encore du Cyclope, la thématique de l’inceste – et un soupçon du Comte de Monte-Cristo dans la dernière partie. Yamamoto ose les transitions les plus déroutantes en profitant des possibilités de l’animation pour d’étonnants raccords dans le mouvement, alterne/mélange images live et animées avec une inventivité constante. Chatoyant et ludique en surface mais d’une vraie noirceur, le film est un fourre-tout moins extrême que Belladona qui rencontrera un relatif succès à l’international notamment aux Etats-Unis. De quoi rassurer les studios Mushi pour Cleopatra (1970), le second Animerama qui ira plus loin encore.

Cleopatra : Tragédie Antique

Cleopatra voit Tezuka s’impliquer davantage en coréalisant le film avec Yamamoto Eiichi. L’argument SF (trois extraterrestres voyagent dans l’Egypte antique) pouvait laisser craindre un traitement aussi fantaisiste que Mille et Une Nuits mais le déroulement du récit se montre d’une grande fidélité à la réalité historique ou du moins à la légende entourant le règne de Cléopâtre. Le film oscille d’ailleurs d’entrée entre facétie et mélodrame pour tisser le destin de la reine égyptienne. La supposée beauté de Cléopâtre étant parfois contestée par les historiens, elle devient un élément thématique puisque sa laideur initiale où elle est néanmoins libre devient, grâce à un sortilège, une magnificence où la souveraine n’est plus qu’un objet sexué servant les desseins politiques des résistant égyptiens contre César.

Tout le conflit intérieur du personnage réside ainsi dans cette nature d’objet de pur désir ou de manipulation où la femme qu’elle est ne peut jamais complètement exister – une mélancolie que traduit particulièrement bien un Tomita Isao encore très inspiré avec un score folk arabisant et psyché. Le spectateur est placé à la fois au cœur du drame et à une certaine hauteur grâce au trois voyageurs temporels qui amènent un parfum d’inéluctable aux évènements mais aussi un humour qui fait mouche. Tout comme dans Mille et Une Nuits, le trait arrondi et cartoon de Tezuka domine dans le design des personnages (le malheureux voyageur temporel réincarné en léopard notamment) et les anachronisme et références pleuvent pour alléger l’atmosphère. On pense à ce duel avorté désamorcé par l’incursion de Yojimbo (sous les traits dessinés de Mifune Toshiro, bien sûr) regrette que le combat n’ai pas eu lieu.

Comparé aux excès à venir de Belladonna, l’érotisme est plutôt soft mais l’ensemble baigne dans une sensualité trouble qui n’existe paradoxalement que quand les sentiments interviennent. Une étreinte entre César et Cléopâtre durant une scène de bain conjugue ainsi contour et couleur pop avec une texture de papyrus égyptien s’attardant sur les formes rebondies de Cléopâtre. De même, le jeu du « bouche à bouche » où Cléopâtre déniaise Antoine fait monter une tension érotique indéniable, mais c’est au détour d’un dialogue (Antoine révélant son affection pour César, premier grand amour de Cléopâtre) que la scène peut prendre toute son ampleur romantique. Cette schizophrénie est volontaire en aguichant sur ce que l’on est venu chercher – un film d’animation coquin, l’échec américain du film viendra notamment de cette promesse non tenue –,  ce que doit représenter l’héroïne aux yeux de ses interlocuteurs et ce qu’elle aspire à être et le vrai portrait de femme qu’est en réalité le film. Les expérimentations croisant animations et décors réels de Mille et Une Nuits se poursuivent ici dans les premières scènes futuristes, mais l’on retiendra surtout l’ampleur grandiose et le sens du détail de la reconstitution de l’Egypte antique. Cette alternance entre ludique (on pense par moments aux films d’animation d’Astérix produits en France à la même période) et emphase désespérée fait tout l’intérêt de l’ensemble, qui culmine dans un somptueux final sacrificiel pour Cléopâtre. L’échec du film conduira la société Mushi à la faillite et il y aura un hiatus de trois ans avant la production de Belladonna avec le seul Yamamoto aux commandes.

Bonus : Un entretien (54 mn) avec Yamamoto Eiichi, passionnant dans sa description du contexte de production de la japanimation de l’époque et d’une étonnante franchise (notamment sur les capacités limitées de Tezuka en animation comparées à son génie dans le domaine du manga).

Justin Kwedi.

Mille et Une Nuits/Cleopatra de Yamamoto Eiichi et Tezuka Osamu, 1969/1970. Disponible en DVD et Blu-Ray chez Eurozoom depuis le 10/07/218.

Imprimer


Laissez un commentaire


*