Chungking Express de Wong Kar-wai (Paris Cinéma)

Posté le 3 juillet 2012 par

Suite à une énième interruption de tournage de son wu xia pian, Les Cendres du temps, Wong Kar-wai s’offre une récréation avec un petit film filmé à l’arrache dans Hong Kong avec une équipe réduite et un script rachitique. Essentiellement destiné à lui redonner le plaisir et l’envie de tourner avec une œuvre plus modeste et libre en opposition à la lourde logistique des Cendres du Temps, le « petit » film constituera finalement l’un des joyaux de sa filmographie avec Nos Années Sauvages et In the Mood For Love. C’est Chungking Express, à (re)découvrir absolument à Paris Cinéma. Par Justin Kwedi.

Le pitch très conceptuel offre une variation sur le même thème avec deux histoires au point de départ similaire (un flic en proie au chagrin d’amour réconforté par une rencontre féminine inattendue) mais au traitement bien différent. La première histoire confronte un couple improbable constitué de Takeshi Kaneshiro et Ling Ching Hsia. Essentiellement nocturne, l’ambiance fait la part belle au spleen introspectif à travers les tourments affectifs d’un Takeshi Kaneshiro inconsolable. Wong Kar-wai capte parfaitement la détresse ressentie dans ces moments-là, à laquelle il offre sa touche drôle et poétique avec les défis stupides que se lance Kaneshiro dans l’espoir qu’elle revienne (comme avaler 30 boîtes d’ananas périmées le soir de son anniversaire et un mois après leur rencontre) ou la manière étonnante dont il décide de tomber amoureux de Ling Ching Hsia. Cette dernière nous offre là son rôle le plus mystérieux et iconique (bien que plus féminine, la dureté de ses personnages androgynes de wu xia pian est intacte), perruque blonde, lunettes noires et gros imper masquant son apparence et ses sentiments avec un personnage tout en froideur. Mêlée à des affaires louches, elle offre au film un aspect polar léger ainsi qu’un aperçu cosmopolite de Hong Kong avec ses émigrants pakistanais (visibles également dans la seconde histoire).

Wong Kar-wai distille une ambiance nocturne typique de son style et préfigurant Les Anges déchus (notamment l’utilisation de morceaux trip hop accompagnant les déambulations de ses personnages) et quelques idées visuelles développées dans As Tears Go By, comme ces dilatations du temps dans les mouvements saccadés des personnages lors des poursuites, leur donnant une aura abstraite et picturale à la Enki Bilal. La rencontre Kaneshiro/Lin se fait tout en non-dit et silence platonique sur fond de musique jazzy et, le jour levé, tout est fini, chacun ayant donné du courage à l’autre : oublier et passer à autre chose pour Kaneshiro revigoré par une Ling Ching Hsia reconnaissante et moins froide qu’en apparence, celle-ci étant enfin en état d’en finir définitivement avec ses ennemis.

Totalement à l’opposé, la seconde histoire part de la même base pour un récit lumineux, enjoué, ludique et débordant de charme. Cette fois, c’est Tony Leung Chiu Wai, fraîchement largué, qui va voir débouler l’ouragan Faye Wong dans sa vie. Des idées narratives brillantes comme le changement de menu progressif de Tony Leung au fast food annonçant puis confirmant son célibat tandis que dans un coin, la serveuse Faye Wong trépigne sous sa timidité apparente. Ensuite, le sourire béat ne nous quittera plus jusqu’au bout (accompagné des Mamas and Papas) lorsque Faye Wong s’introduit en douce chez Tony Leung pour arranger son appartement à son insu, que ce dernier voit sa déprime inexplicablement s’estomper tandis que le récit se fait de plus en plus enlevé et romantique alors qu’une nouvelle fois la relation reste en apparence platonique (procédé poussé à l’extrême dans In the Mood For Love). Tout spectateur normalement constitué doit terminer amoureux de Faye Wong qui offre une prestation éblouissante de fraîcheur et de spontanéité à travers des scènes merveilleuses telle sa réaction quand Tony Leung lui rapporte son disque, le massage de pied et bien évidemment le ménage sur fond de reprise de Dreams (morceau des Cranberries à l’origine) en cantonais.

On sent pas mal l’influence du Godard des débuts avec ce sentiment de fougue, de liberté et de jeunesse qui imprègnent le film, ancré pour le meilleur dans un ton et une ambiance typiques de la première moitié des années 90 (les pager, les boîtes vocales à consulter…) tout en illustrant l’architecture atypique de Hong Kong comme personne (la fenêtre de Tony Leung donnant sur un escalator !). Après multiples visionnages, le charme ne s’est jamais estompé, et malgré une filmo impeccable jusqu’à In the Mood For Love, Wong Kar-wai ne retrouvera jamais plus cette grâce, et certainement pas dans sa tentative ratée de renouer avec le ton de Chungking Express dans le récent et poussif My Blueberry Nights.

Verdict :

Justin Kwedi.

Chungking Express de Wong Kar-wai, à voir à Paris Cinéma le mardi 03/07 (16h, 18h, 20h,22h) aux 3 Luxembourg.

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