Après des retrouvailles avec Gong Li dans le touchant Coming Home, Zhang Yimou façonne un blockbuster sino-américain avec Matt Damon en tête d’affiche et la Grande Muraille comme terrain de jeux.
Zhang Yimou, cinéaste chinois de la 5ème génération a, à lui seul, vécu l’ensemble des changements de la Chine contemporaine et de son cinéma. Depuis le début de sa carrière en tant que réalisateur jusqu’à La Grande Muraille, il a été le miroir du cinéma chinois au fil des décennies : d’abord comme l’étendard de son renouveau au début des années 90, puis comme représentant du soi-disant formalisme esthétisant des années 2000, et enfin en tant que parangon des blockbusters chinois d’auteur à la fin des années 2000 jusqu’à nos jours (même s’il mène une œuvre moins commerciale en parallèle). Le cinéaste traverse les périodes tant bien que mal, mais reste toujours fidèle à son identité esthétique. S’il y a bien quelque chose qui n’a jamais quitté les cinéastes de la 5ème génération, c’est leur goût pour la recherche formelle, au point d’être conceptuel ou de perdre le spectateur qui serait trop attaché aux événements narratifs comme tenant et aboutissant de l’expérience cinématographique. Le cinéma de Zhang Yimou est, et a toujours été, un cinéma d’esthète sans que cela ne soit un gros mot. Il faut se rappeler que la 5ème génération avait la lourde tâche de faire exister un cinéma chinois libre et en quête d’identité aussi bien thématique que formelle. C’est dans cette volonté de recherche et d’expérimentations que s’est construit le cinéma de Zhang Yimou. La Grande Muraille est une nouvelle étape dans la carrière du cinéaste, voire dans l’histoire du cinéma chinois. Le film explore les possibilités et les limites du nouveau champ des possibles qu’offre la domination chinoise à Hollywood. C’est un objet hybride, mutant, imparfait mais l’identité de son auteur est tout de même présente.
Dans des contrées reculées, William Garin (Matt Damon) et son compagnon d’armes Pero Tavar (Pedro Pascal) sont à la recherche d’une poudre sombre et explosive. Après avoir survécu à l’attaque d’une étrange créature et d’une bande de brigands, ils se retrouvent devant la Grande Muraille et son armée. Le commandant Lin Mei (Jing Tian) et son stratège Wang (Andy Lau) doivent faire face à des étranges créatures aux abords de la muraille, et mènent une guerre secrète dans le but de protéger la Chine depuis des décennies. Les deux soldats se retrouvent à devoir partager ce combat, et écrire une des nombreuses légendes de la Grande Muraille.
Dès le début, le film met en évidence ce côté mutant à travers la rencontre de deux mondes aussi bien cinématographiques que culturels : les mercenaires/guerriers occidentaux, qui sont typiques des péplums contemporains et les soldats chinois typiques des wuxia. Le film pourrait même exprimer la relation entre le cinéma chinois actuel et le cinéma américain, deux entités qui doivent aujourd’hui s’allier pour survivre et suivre des impératifs commerciaux (ladite poudre). Mais que représenteraient donc les ennemis, les fameuses créatures hybrides ? Elles partagent à la fois un design chinois, ou du moins propre à la représentation des monstres dans le cinéma asiatique (elles peuvent faire penser à la créature de The Host, comme elles peuvent faire penser à des créatures de SF américaine) et un mouvement qui ressemblerait à celui des infectés dans World War Z – ce qui ne serait pas un hasard puisque Max Brooks (l’auteur du livre World War Z) est à l’origine du projet. Le film organise donc cette rencontre étrange, dont personne ne veut vraiment, mais qui devait arriver. Dès lors, le cinéaste chinois déploie son dispositif esthétique durant la première bataille du film et fait preuve d’une certaine virtuosité à l’aune de l’ère numérique. La première scène de bataille, mirifique, donne le ton du film. Zhang Yimou déplace sa caméra en suivant un rythme, une chorégraphie et nous offre un ballet numérique. On retrouve l’homme derrière Hero (d’ailleurs, Zhao Xiaoding signe la photographie), mais également derrière la cérémonie d’ouverture des J.O de Pékin en 2008. Il y a dans sa mise en scène une volonté de spectaculaire, d’offrir des visions nouvelles. Il reprend son motif des couleurs pour que l’action devienne lisible mais que se dégage également une originalité de l’événement esthétique. Les VFX actuels lui permettent d’assurer une lisibilité de l’action et une certaine grâce, notamment avec l’idée de l’escouade féminine et de ses tactiques de combats, que seuls Tsui Hark et Stephen Chow pouvaient se vanter d’atteindre dans le cinéma chinois actuel.
Certes, on pourrait, comme le cynisme de l’époque le voudrait, jeter d’un revers de main ou d’un soupir condescendant la tentative du cinéaste chinois de donner une identité propre à un nouveau genre de blockbusters, mais force est de constater que le cinéaste est généreux dans sa recherche formelle. Il montre tant bien que mal ce que le cinéma peut. Même dans cette situation, sa démarche de cinéaste reste authentique à l’aune de ses choix et du budget conséquent du métrage. Entre les radeaux-lanternes volants, et le climax presque psychédélique, Zhang Yimou se permet d’essayer ce que les blockbusters occidentaux ne peuvent plus se permettre ou se permettent rarement (le film partage Ramin Djawadi à la musique avec un autre blockbuster mutant, Pacific Rim), à la fois, dans ce récit qui ressemble à tant d’autres mais qui n’évoque que lui-même, et dans cette manière de créer des situations qui répondent à des codes mais offrent des images inédites. On peut penser à la scène d’embuscade des monstres, où le cinéaste joue avec la profondeur et les reliefs, voire à la scène des harpons qui propose une variation dans l’environnement, et donc dans l’image. Il y a cette volonté de donner corps à une légende, un conte interculturel, d’où la romance timide entre le commandant et William, et le contraste de la violence des batailles. Cependant, le film souffre quand même de défauts flagrants. On pourrait reprocher à Zhang Yimou de filmer son actrice Jing Tian comme il le ferait avec Gong Li, sauf qu’elle n’en a ni la prestance, ni la fascinante photogénie. Ou bien, son rythme étrange qui laisse exister un Willem Dafoe interlope, néanmoins intéressant.
Les impératifs commerciaux ont beau être au cœur du film et les expérimentations du cinéaste parfois brouillonnes, Zhang Yimou tente d’orchestrer cette rencontre et de transcender la barrière culturelle par une démarche intrinsèque à son œuvre qui unirait le film autour d’un seul langage, celui du cinéma.
Kephren Montoute.
La Grande Muraille de Zhang Yimou. Chine. 2016. En salles le 11/01/2017.