Preview – Hana et Alice mènent l’enquète de Iwai Shunji : Innocence animée

Posté le 9 avril 2016 par

Douze ans après sa dernière fiction japonaise, Iwai Shunji repasse derrière la caméra avec un film d’animation, Hana et Alice mènent l’enquête.

Iwai Shuji et l’animation, c’était un peu comme une rencontre prédestinée par les étoiles. Cela fait maintenant plus de quinze ans qu’une grande majorité de ses films se rapproche plus du shojo que de n’importe quel autre médium. Sa mise en scène délicate évoque en effet une tendresse et une innocence très vue dans les josei, ces mangas pour jeunes post-ados. Lorsqu’il décide d’offrir un prequel à sa chronique adolescente Hana et Alice, sortie en 2003, sous forme animée, comment en être alors étonné ?

Hana et Alice, c’est avant tout une série de courts-métrages tournés par Iwai pour les trente ans de l’implantation des barres chocolatées Kit Kat au Japon. Fier de leur succès et de l’univers mignon qu’ils évoquent, le réalisateur décide de transformer ces spots publicitaires en un long-métrage. Sorti en 2004 et non exempt de défauts, Hana et Alice aura tout de même le mérite d’avoir lancé les carrières des deux actrices principales, Aoi Yû (Mushishi, Vers l’autre rive) et Suzuki Anne (Himizu, Steamboy). Film « à personnages » trop long, à la trame narrative rachitique, il laissait cependant apparaître une jolie ambiance, certes un peu clichée, à base d’uniformes marins mais aussi une belle histoire d’amitié.

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Si le film live action traitait de leurs années lycée, Hana et Alice mènent l’enquête évoque, lui, leur rencontre au collège. Alice, 14 ans, emménage dans une petite ville de banlieue avec sa mère immature et entre comme nouvelle élève au collège local. Harcelée sans raison par ses camarades, elle découvre que ses malheurs sont dus à la place qui lui a été assignée dans le plan de classe. Elle aurait en effet appartenu à un certain Judas, élève à l’histoire mystérieuse, assassiné deux ans plus tôt…

Comment filmer des actrices dans des rôles de collégiennes alors qu’elles sont aujourd’hui trentenaires ? Par la rotoscopie. Filmées avec des vrais acteurs, des images en deux dimensions ont ensuite été projetées sur les scènes live action, provoquant une profondeur et un volume très marqués. Si la technique n’est pas encore assez perfectionnée pour justifier son emploi dans un film entier, en témoignent quelques expressions de visage imparfaites, le travail de post-production fait sur les mouvements, les corps et les décors donne au film une esthétique unique. La simplicité du chara-design, souvent résumé à une coupe de cheveux et un vêtement posés sur un mannequin à la peau unie et sans relief, est superposée à des alentours photo-réalistes qu’on croirait tout droit sortis d’une série du studio Shaft (Bakemonogatari). Ces mêmes décors sont peut-être dans les plus beaux vus dans le cinéma d’animation de ces dernières années, sublimés par des jeux de lumière absolument magnifiques. Ajoutons-y des angles de caméra pour le moins originaux doublés de faux effets de lentille (Fish-eye, grand angle) et le visuel du film s’orienterait presque vers l’animation expérimentale. Le département animation, mené par Kuno Yoko a effectué un travail impressionnant et si la rotoscopie à encore du chemin à faire avant de dépasser le stade de gimmick amusant, elle trouve ici son meilleur utilisateur à ce jour.

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Ce qui sublime la technique, c’est avant tout la mise en scène de Iwai Shunji, toujours aussi aérienne et délicate. Elle continue de jouer avec la lumière et les corps avec cette douceur caractéristique de son cinéma. Scènes de danse, ralentis, étalonnage poussé vers le blanc, on retrouve les obsessions classiques du réalisateur. Il ne traite ainsi pas son film d’animation différemment du reste de son œuvre et marque ce film de sa patte. On y retrouve en effet un grand nombre de ses thèmes de prédilection : le harcèlement scolaire (All About Lily Chou-Chou), la complexité des relations amoureuses (Love Letter, April Story) ou les modifications de la réalité par un petit groupe de personnes (Picnic).

Si la scénarisation était un des grands défauts du Hana et Alice original, du fait de l’absence quasi totale d’intrigue, réduisant le film à une suite de sketchs slice of life plus ou moins mignons, Iwai pense cette fois à doter son film d’une véritable histoire. Les personnages de Hana et Alice restent de loin les points les plus importants du film mais, cette fois-ci, leur relation et leurs actions sont contextualisées par un but commun : une enquête qui parvient à intriguer et intéresser le spectateur. On peut aussi relever une très juste analyse de l’adolescence où toute rumeur est exagérée, enfle et enfle jusqu’à devenir quelque chose d’énorme (absurde séquence d’exorcisme en plein milieu d’une classe) et où une amitié peut se créer en un clin d’œil (les scènes où Hana et Alice se découvrent sont magnifiques de candeur et d’innocence).

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Cependant, un des principaux problèmes du film vient de la place trop importante que prend la relation entre les deux collégiennes. Leur place est telle que toute scène ne comportant pas les deux adolescentes ensemble perd en intérêt. Et pourtant, ce n’est pas par manque de personnages secondaires intéressants. On peut par exemple citer Mutsu Mutsumi, camarade de classe à l’origine du harcèlement subi par Alice, à l’histoire extrêmement touchante mais balayée d’un revers de la main à la moitié du film pour ne jamais réapparaître. Même Judas, dont la psychologie est pourtant au centre de l’histoire, n’est pas développé une seule seconde.

En réduisant le nombre de vrais personnages à ses héroïnes, Iwai Shunji réduit l’impact d’une chronique adolescente pourtant bien menée. L’ambiance est cependant brillamment posée, et la réflexion sur les fantasmes adolescents est à la fois hilarante et juste. Hana et Alice mènent l’enquête est, avant d’être un film d’animation, un film de Iwai Shunji. Tout y est, et l’aficionado y trouvera son compte. Reste pour les profanes un film d’animation agréable à la technique originale, à l’univers mignon et aux décors – je le répète – absolument sublimes. Si Hana et Alice mènent l’enquête n’est pas un film majeur, ni dans la filmographie du réalisateur, ni dans l’histoire du film d’animation, sa diffusion chez nous ne peut être qu’un pas en avant dans la reconnaissance publique en France de l’animation japonaise d’auteur, et c’est déjà beaucoup.

Elias Campos.

Hana et Alice mènent l’enquête de Iwai Shunji. Japon. 2015. En salles le 11/05/2016