Avec The Last Supper, le chinois Lu Chuan livre une fresque historique à grand budget sur le fondateur de la dynastie Han, ainsi qu’une réflexion sur le pouvoir et ses corollaires : ambition, trahison et vengeance. Le Brussels International Fantastic Films Festival cuvée 2016 projetant son dernier film, Chronicles Of The Ghostly Tribe, l’occasion était idéale de revenir sur The Last Supper, découvert à l’Etrange Festival 2013. Par Marc L’Helgoualc’h.
Synopsis : 196 avant Jésus-Christ. A 61 ans, Liu Bang, premier empereur de la dynastie Han, est un homme presque sénile et au seuil de la mort. Sa prochaine succession donne lieu à des tractations politiques. Alors que ses anciens alliés sont exécutés les uns après les autres pour des complots imaginaires, Liu Bang se remémore les événements qui ont fait de lui l’homme le plus puissant de l’empire – et rétrospectivement l’un des personnages les plus importants de l’histoire chinoise.
Lu Chuan a marqué les esprits en 2009 avec City of Life and Death, un film en noir et blanc sur le massacre de Nankin en 1937. Cet événement historique particulièrement violent est encore aujourd’hui un prétexte à querelles et bras-de-fer politiques entre la Chine et le Japon. City of Life and Death ne fut d’ailleurs pas distribué au Pays du Soleil Levant, alors qu’en Chine certaines âmes ont critiqué Lu Chuan pour avoir donné des militaires japonais un portrait trop sympathique. Après ce succès critique et polémique, Lu Chuan est resté dans le genre historique mais en remontant aux fondements de la dynastie Han et en s’attaquant à son fondateur Liu Bang. Pour ce faire, le réalisateur a bénéficié d’un budget de 14 millions de dollars et de plusieurs acteurs vedettes : Liu Ye (La Cité interdite), Daniel Wu (L’Homme aux poings de fer), Chang Chen (The Grandmaster) et Qin Lan (City of Life and Death).
Avant même sa sortie, The Last Supper a suscité une polémique. Alors qu’il devait sortir en juillet 2012, le film a été repoussé de quatre mois par les autorités. La raison invoquée : ce film historique était susceptible de causer des troubles en période de renouvellement du bureau du Parti Communiste Chinois. Cette décision radicale prouve à quel point les autorités tiennent en respect le cinéma et le considère non seulement comme un divertissement mais aussi comme un vecteur de messages politiques. Tout ceci est bien sûr exagéré. Quel film a-t-il déjà suscité des contestations politiques, voire des manifestations ? Est-ce alors le signe d’un état paranoïaque craignant le moindre malentendu sur ses productions à grand budget (quitte à saborder son softpower) ? The Last Supper est-il une fresque historique qui tend à critiquer Mao ou l’actuel Parti Communiste chinois ? Laissons ici ces débats sino-chinois finalement peu intéressants pour un Occidental.
Que voit-on dans The Last Supper ? Le film est essentiellement composé de flashbacks. Un Liu Bang vieillissant, empereur aussi craint que vulnérable, hanté par son passé, se souvient de son parcours politico-militaire. Au centre de ce retour dans le passé, ses relations avec Xiang Yu, le chef militaire le plus puissant de l’époque, avec lequel il a renversé la dynastie Qin. D’abord alliés, Lui Bang et Xiang Yu ont ensuite été ennemis, luttant pour toujours plus de pouvoir. Le film revient sur deux épisodes, connus des Chinois (mais inconnus pour le commun des mortels) : le banquet de Hongmen (207 avant JC) et la bataille de Gaixia (202 avant JC). Problème : le spectateur qui ne connait rien de cette période de l’histoire est vite perdu dans une profusion de flashbacks et une présentation plus que sommaire et nébuleuse d’une dizaine de personnages secondaires. Qui est qui ? Qui est ami avec qui ? Qui combat qui ? Le spectateur est peu à peu lâché, assistant impuissant à des conciliabules politiques, des esquisses de complots et quelques rares batailles…
On assiste bien à plusieurs scènes dignes d’intérêt mais l’ensemble du film est malheureusement bien creux. On y trouve malgré tout une bonne réflexion sur l’écriture et les finalités de l’histoire. Du point de vue esthétique, les décors et les costumes sont réussis. Contrairement à ce que l’ont aurait pu penser d’une fresque historique, on trouve très peu de scènes de batailles. The Last Supper est avant tout un film de réflexion sur les arcanes du pouvoir. Dommage que le spectateur se perde dans la mise en scène tarabiscotée de Lu Chuan.
Marc L’Hegoualc’h.
The Last Supper, projeté en avant-première dans le cadre de l’Étrange Festival. Chronicles Of The Ghostly Tribe, de Lu Chuan, projeté durant la 34ème édition du Brussels International Fantastic Films Festival.