Dans le section Paysage de la programmation de cette 10e édition du FFCP se cachait une petite perle du cinéma indépendant coréen. Premier long métrage du talentueux cinéaste Moon Jeong-yun, Gi-hwa est un road movie bucolique qui mêle harmonieusement sentiment de mélancolie, humour et émotion. Transportés par le charme de ce petit film, nous avons demandé une interview avec l’équipe de film. Rendez-vous le lendemain de la projection avec le réalisateur et son acteur principal Hong Hee-yong dont la présence et l’esprit de franche camaraderie a contribué à la bonne humeur et l’ambiance conviviale de cette édition anniversaire.
Comment est née l’histoire de Gi-hwa ?
Moon Jeong-yun : Au départ, je n’ai pas commencé par écrire le scénario de Gi-hwa. C’est en rencontrant un des acteurs, Hong Hee-yong, avec qui j’ai beaucoup parlé, que tout a commencé. En discutant avec lui, notamment de son vécu, je me suis demandé ce que pourrait donner un film qui parlerait d’un père totalement immature et qui doit faire face à la mort. Qu’est-ce qui se passerait si on mettait en scène cet homme avec son fils ? Comme vous l’avez vu dans le film, le personnage s’appelle Hee-yong, comme l’acteur !
Pourquoi avoir choisi la campagne comme cadre de cette histoire ?
La province de Chungcheong est le lieu principal du film parce que, déjà, c’est la province natale des acteurs. C’était aussi pour moi une sorte d’acheminement pour arriver à la ville de Tongyeong. Je pensais qu’il était normal qu’un homme, qui est mourant, veuille revenir dans sa ville natale, à ses sources.
Le mot « Gi-hwa » a plusieurs sens en coréen. Quelles en sont les différentes significations ?
Le sens propre est « évaporation ». Mais c’est aussi le nom que j’ai choisi pour le personnage du fils et pour celui de la femme de Hee-yong.
Quelle est la résonance que peut avoir ce nom dans l’histoire ?
Quand il y a une évaporation, pensez-vous que les choses disparaissent vraiment ? On ne les voit plus à l’œil nu mais je ne pense pas qu’il y ait une disparition complète. Ces choses existent toujours mais elles se sont transformées. C’est pareil pour les personnages. Même s’ils ont eu un passé douloureux, des déchirements et des difficultés dans leur vie, ils restent une famille. Je voulais mettre ensemble tous ces individus pour qu’ils se retrouvent et que ces douleurs s’évaporent.
L’un des thèmes principaux du film est la relation filiale, l’absence de parents et ses conséquences. Pourquoi avoir choisi ce sujet ?
Pour moi, ce n’est pas un sujet douloureux parce que, finalement, ça fait partie de la vie. Moi-même j’ai perdu mon père et j’ai essayé, par la suite, de tisser des liens avec les autres membres de ma famille mais ce n’est pas toujours évident. Il y a des problèmes dans toute famille. Dans ce film, j’ai fait ressortir des problèmes qui sont peut-être plus visibles et palpables.
Il y a un sentiment de grande mélancolie qui traverse le film et un besoin de vivre l’instant présent. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Quand j’étais jeune, j’étais très influencé par le réalisateur coréen Bae Chang-ho. Dans ses films, il parle souvent de personnes qui sont en bas de l’échelle sociale et qui ont une vie très difficile. Pourtant, ces gens se retrouvent souvent et partent en voyage et tout devient alors plus léger. Cela m’a beaucoup touché et du coup, influencé, et j’ai certainement voulu retranscrire cela inconsciemment.
Pour en revenir à vos influences : vous avez déjà nommé Lee Chang-dong mais j’ai aussi beaucoup pensé à Kitano Takeshi.
Kitano Takeshi n’est pas forcément une influence pour moi. Peut-être que Gi-hwa vous a fait pensé à L’Eté de Kikujiro, que j’ai beaucoup aimé, mais ce n’est pas une influence.
Le film a une forme de légèreté mais est aussi assez cru. Pourquoi avoir voulu un tel contraste et comment avez-vous réussi à créer une harmonie ?
Je n’avais pas la volonté de créer un contraste. Par exemple, j’ai mis en scène la jeune fille pratiquant une fellation pour accentuer son passé et sa vie actuelle. Certains personnages sont obligés de passer ces épreuves pour que le spectateur puisse ressentir de l’empathie. Effectivement, j’ai voulu créer une sorte d’harmonie entre la légèreté et les scènes dures. Je ne voulais pas que le film soit lourd, pesant. Ces personnages pourraient être des gens qui vivent autour de nous. Et dans la vie, il n’y a de véritable lourdeur. Par exemple, le personnage de Hee-yong, on l’a tous autour de nous. Cela peut être un oncle un peu immature et paumé ; on peut aussi croiser dans la rue une jeune femme obligée de se prostituer pour vivre. Ces personnages sont des gens comme vous et moi : ils ont un vécu, parfois un passé douloureux mais ils ont aussi leurs moments de joie.
Gi-hwa donne l’impression d’un film solaire où de l’humanité émane de chaque personnage, avec leurs failles et leurs forces. Comment avez-vous travaillé la photographie ?
Quand on a commencé à travailler sur le film, on se retrouvait tous les mercredis avec l’équipe et ce, pendant environ 10 mois. Je voulais vraiment que tout le monde soit rassemblé et soit au courant des moindres détails pour vivre cette histoire. Étant donné qu’on n’avait pas beaucoup de budget, on a été obligé de tourner sur une courte durée. Donc ce travail préparatif nous a beaucoup aidé. Concernant la photographie, je vais être honnête : on a été chanceux car sur le tournage, il a fait un super temps ! On sait que Hee-yong va bientôt mourir mais cela n’a aucune importance dans la vie quotidienne des gens. C’est pour cela que j’ai fait en sorte que tous les personnages baignent dans une ambiance ensoleillée et joyeuse.
Vous l’avez dit, le film a été créé lors d’une discussion avec Moon Jeong-yun. Comment avez-vous travaillé votre rôle ?
Hong Hee-yong : J’avais déjà tourné avec lui et il m’avait beaucoup observé. Sur les tournages, je suis très amical avec le staff, notamment féminin. Je suis professionnel mais je déconne beaucoup pendant les pauses. On a commencé à sympathiser et il m’a posé beaucoup de questions. Il a fini par me dire que j’avais une vie assez atypique, que j’avais déjà un fils de 24 ans malgré mon âge et que du coup, mon histoire l’intéressait et qu’il voulait en faire quelque chose pour créer un personnage.
Comment se sont développées vos relations sur le tournage ?
Hong Hee-yong : On a une relation très professionnelle sur le tournage. Moon Jeong-yun se concentre beaucoup et très rapidement car on n’a pas beaucoup de temps. Il sait à chaque fois exactement ce qu’il veut et ce qu’il fait et il pense déjà à la séquence d’après. Avec tous ces longs mois de préparation, tout s’est bien passé. Je savais ce qu’il attendait de moi et lui savait ce que je devais faire.
Comment avez-vous travaillé la dynamique avec l’autre acteur, Baek Seung-chol ?
Moon Jeong-yun : Dans la vraie vie, ce sont deux compères (rires) ! Ils sont dans la même troupe de théâtre depuis l’université. Ils sont amis et ont toujours cette dynamique. Baek Seung-chol est un peu comme son personnage : il adore les femmes (rires) ! Dans la scène où ils se retrouvent dans un bar un peu pourri, Seung-chol tourne la tête à chaque fois qu’une nana passe et Hee-yong le regarde d’un air dépité. C’est exactement ce qu’il se passe au quotidien !
Le troisième personnage, celui du fils, Gi-hwa, est très mutique. Comment avez-vous fait pour le mettre en valeur alors qu’il ne dit quasiment rien ?
Moon Jeong-yun : En Corée, quand les garçons sont grands, ils n’ont pas d’échanges très profonds avec leur père. C’est culturel. Lui, en plus, n’a pas grandi avec son père. Il a été élevé par sa grand-mère et a même assisté à sa mort. De cette violence qu’il ne peut plus contrôler en découle un meurtre. Et c’est pour cela qu’il va en prison. Quand il en ressort, il se dit peut-être que tout son mal a commencé quand sa famille a éclaté. Du coup, ce personnage a du mal à communiquer avec les autres parce qu’il n’est pas habitué et ne sait pas comment s’y prendre.
Vous venez du théâtre où le jeu est plus accentué. Comment avez-vous réussi à jouer de la subtilité sans tomber dans la caricature ?
Hong Hee-yong : Je ne fais pas vraiment de différence entre le théâtre et le cinéma. Je dis souvent à mes juniors au théâtre : « Ne faites pas de jeu d’acteur ». Si on n’a pas vécu ce qu’on joue, cela va forcément sonner faux. Je leur demande d’essayer de vivre un maximum d’expériences et les garder en eux. Sur scène, on doit faire sortir des personnages qui sont, quelque part, ancrés en nous.
La nature a énormément d’importance dans le film. Comment vous êtes-vous approprié ce cadre, qui est différent d’une scène de théâtre ?
Hong Hee-yong : C’était naturel. J’étais sur une scène, dans la nature. Je n’ai jamais réfléchi à comment adapter mon jeu. Quand Gi-hwa sort de prison, je l’attends devant et je tape un arbre. C’était complètement improvisé et pas du tout calculé.
Vous avez fait un gros travail physique pour incarner ce personnage. Pouvez-vous nous en parler un peu ?
Hong Hee-yong : le physique que demandait le réalisateur pour ce rôle était encore plus accentué ! Et je lui ai donné l’espoir que je pouvais faire quelque chose !
Moon Jeong-yun : je l’ai vu une fois alors qu’il avait des problèmes personnels et n’avait quasiment rien mangé pendant 3 semaines. Du coup, il avait beaucoup maigri. Quand je l’ai vu dans cet état, je lui ai dis « mais j’y crois pas, c’est top, c’est exactement ça que je veux ! Tu peux faire encore plus ? »(rires).
Hong Hee-yong : si j’avais continué et poussé encore un peu, je pense que j’aurais pu devenir exactement le personnage qu’il voulait. Il aurait préféré mais moi j’y serais passé (rires) ! Et si j’étais vraiment mort, le film aurait cartonné (rires) ! Moi, ce que j’avais en tête, c’était plutôt un personnage malade et tout sec comme Matthew McConaughey dans Dallas Buyers Club.
Moon Jeong-yun : d’ailleurs, à la fin du tournage, j’ai dit à Hee-yong qu’il allait regretter de ne pas avoir perdu plus de poids car cela aurait accentué le côté malade de son personnage.
On peut dire que vous vous mettez à nu dans ce film et ce, dans tous les sens du terme. Quelle est la signification de cette scène ?
Hong Hee-yong : C’est la scène la plus importante du film à mes yeux. C’est ce que peut montrer le père à son fils pour lui montrer d’où il vient. Quand le réalisateur m’a demandé de faire cette scène, je n’ai pas du tout hésité. En Corée, il y a cette tradition d’aller au bain public, entre père et petit garçon. Et le garçon grandit et qu’il a suffisamment de force, il nettoie le dos de son père et se sent fier.
Propos recueillis le 02/11/2015 à Paris par Martin Debat et retranscris par Elvire Rémand.
Photos : Martin Debat.
Traduction : Ah-Ram Kim.
Merci à Marion Delmas et à toute l’équipe du FFCP.