Cannes 2015 – Chapitre 3 : Escapade en Asie

Posté le 20 mai 2015 par

Allez, comme promis, cette fois je vous propose une « spéciale cinéma asiatique ». Cinq films au programme, découverts ce lundi et ce mardi, dont au moins quatre peuvent prétendre à des prix en fin de semaine.

journey-to-the-shore

On commence avec la grosse déception ressentie devant Vers l’autre rive, le dernier Kurosawa Kiyoshi. Après la semi-réussite Real et quelques travaux sans intérêts, j’attendais avec impatience le retour en grâce du cinéaste japonais. Tout aussi ambitieux scénaristiquement que Real, Vers l’autre rive souffre malheureusement des mêmes défauts. Trop long, mal rythmé, trop explicatif, le film accumule les longueurs et les temps morts, ce qui empêche une réelle implication émotionnelle. Cette histoire d’amour entre une veuve et le fantôme de son mari, disparu en mer trois ans plus tôt, reprend le même principe que le Ghost de Jerry Zucker, sauf qu’ici, le fantôme se comporte exactement comme un être humain normal. On en vient presque à douter de la véracité des faits (est-il vraiment mort ?), mais très vite le mystère s’étiole, et notre attention avec. Vers l’autre rive s’enferme alors dans un schéma narratif répétitif, jusqu’à son final certes émouvant, mais prévisible.

cemetery of splendour

Heureusement, un autre cinéaste spécialiste des esprits et des fantômes n’a pas déçu lui, et même mieux. Cemetery of Splandour est peut-être le premier film d’Apichatpong Weerasethakul qui m’a entièrement enthousiasmé. On retrouve pourtant son style habituel, très contemplatif, à base de longs plans fixes captant avec délicatesse la vie de ce petit hôpital de la campagne thaïlandaise, où des soldats sont atteints d’une étrange maladie proche de la narcolepsie. Même s’il ne se passe pas grand-chose pendant la première heure, on est plutôt fasciné par cette vieille dame boiteuse qui vient prendre soin d’un soldat auquel elle s’est attachée. C’est tendre, apaisant, drôle par moment aussi, et on ressent toujours cette enivrante sensation d’être en marge du monde réel, dans un paradis perdu proche de la terre et de la nature, même si on aperçoit, au loin, des grosses machines prêtes à profaner les lieux. L’univers poétique et mythologique du réalisateur s’immisce alors peu à peu dans un récit à multiple couches. La vieille dame tente d’entrer en contact avec le soldat par l’intermédiaire d’une jeune femme capable de s’introduire dans leurs pensées, ce qui trouble totalement la frontière entre le rêve et la réalité. Le film se transforme en odyssée  au pays des songes, des esprits et des hommes endormis, peuplé de légendes guerrières et de mythes. A vous d’y croire et de vous laisser emporter.

notre petite soeur

Pour mieux atterrir dans le nouveau portrait familial d’Hirokazu Kore-Eda, Notre petite sœur. Le réalisateur japonais reprend fidèlement les bases du manga Kamakura Diary en mettant en scène la rencontre entre les trois sœurs Kohda et leur jeune demi-sœur Suzu. Sachi, Yoshino et Chika décident de prendre en charge Suzu suite à la mort de leur père, un homme qu’elles n’ont pas vu depuis quinze ans. Dans cette vieille maison de Kamakura, elles vont apprendre à se connaître, à s’apprécier, à évoluer ensemble. Certes l’intrigue peut paraître minimaliste, sans grands enjeux, mais pourtant, encore une fois, l’humanité du cinéma de Kore-Eda apporte un vrai vent de fraicheur sur la croisette. Porté par quatre magnifiques actrices, Notre petite sœur n’aura sans doute pas la Palme d’or, mais remporte déjà, selon moi, la Palme du cœur. On ne voit pas souvent de si beaux personnages de femmes au cinéma.

taklub

Mais il y en a quelques-uns cette année à Cannes, tels Carol et Therese chez Todd Haynes, ou encore Babeth, dans le dernier film de Brillante Mendoza, Taklub. Interprétée par la célèbre Nora Aunor, déjà présente dans l’excellent Thy Womb (toujours inédit chez nous), Babeth fait partie des survivants du typhon Haiyan, qui s’est abattu sur les Philippines en fin d’année 2013. On suit son parcours et celui d’autres familles de rescapés, vivant parmi les débris, tentant de reconstruire ce qui a été détruit. Ils ont tous subi de lourdes pertes, et, comme si le sort ne s’acharnait pas assez, l’un d’eux, nommé Renato, voit quasiment toute sa famille périr dans un incendie, au cours d’une séquence d’introduction terrifiante et irrespirable. Taklub est un film déchirant, mais digne, parce qu’il nous montre une communauté qui ne se résigne pas, malgré les drames et malgré la peur d’une nouvelle catastrophe. Elle trouve de la force dans la religion, dans l’entraide, dans l’envie de vivre tout simplement. C’est sans contexte l’un des films forts de la section Un Certain Regard, qui pourrait bouleverser le Jury.

mountains may depart

On revient à la Compétition avec peut-être le grand favori pour l’obtention de la Palme d’or. A l’image de Nuri Bilge Ceylan l’année dernière, qui a remporté le précieux sésame pour Winter Sleep après plusieurs autres prix importants, Mountains May Depart pourrait être le film de la confirmation pour Jia Zhangke. Encore plus accessible que A Touch of Sin il y a deux ans, Mountains May Depart suit le destin de plusieurs personnages sur trois périodes, le passé, le présent, et le futur. La première partie, qui précède l’apparition du titre, commence comme une comédie romantique des années 90, où deux hommes se disputent la femme qu’ils aiment. Celle-ci décide finalement de partir avec le plus riche, celui qui rêve d’occident. Quinze ans plus tard, l’ami éconduit retrouve son amour d’antan. Il a fondé une famille mais est tombé gravement malade et ne peut pas payer les frais d’opération. Elle est riche, mais divorcée et ne voit plus son fils, parti à l’ouest avec son père. Le ton a changé, le contexte social chinois, qui avait déjà décidé du sort de la première partie, enferme les personnages dans un univers moribond. On retrouve le Jia Zhangke virtuose, qui joue avec le temps, les genres, les formats, les régimes d’image et les points de vue pour replacer son mélodrame dans l’actualité socialo-politique chinoise. Le réalisateur se risque même à anticiper le futur, puisque son histoire s’étale jusqu’en 2025. Le fils est devenu adolescent. Il vit encore avec son père, qui l’empêche toujours de rentrer au pays pour revoir sa mère. Il ne reste plus que le regret d’une occasion manquée. Ce regret qui parcourt la vie des personnages durant tout le film. La dernière séquence, magnifique, reprend la version chinoise de Go West déjà entendue auparavant, en bouclant la boucle de manière plutôt ironique. Les rêves se sont bien vite évanouis.

Ce fut donc une très belle journée de cinéma, où l’Asie a encore pu démontrer qu’elle en avait sous la pédale. J’ai également pu voir Marguerite et Julien, de Valérie Donzelli, qui risque de gagner la palme du film le plus nul de la Compétition, donc je ne reviendrai sans doute pas dessus. En revanche, je vous parlerai prochainement du nouveau Pixar, Vice Versa, qui est peut-être le meilleur film des Studios depuis leur création. A très vite.

Nicolas Lemerle

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