Édito – FICA de Vesoul : Quick Change ?

Posté le 25 février 2014 par

Il y a deux ans, la sélection « Visages des cinémas d’Asie contemporains » de l’excellent Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul nous avait plongés dans un certain embarras en nous mettant face à des films à haute teneur sociétale, mais dilués dans une forme tiède, et édulcorant la force des sujets évoqués (lire notre bilan ici). Est-ce que le cru 2014 a changé la donne ?

Lors de notre rencontre avec Martine Thérouanne, la programmatrice et directrice du festival, l’impression d’une volonté d’ouverture, d’évolution et de changement du festival est tout de suite venue sur la table : « Concernant le choix des films, cette année on s’est un petit peu plus ouvert, ce qui est peut-être dû au pays à l’honneur, les Philippines. Il y a beaucoup plus de comédies. Hier a été présenté Here comes the bride, qui a provoqué l’hilarité de la salle. Il va aussi y avoir Sapi de Brillante Mendoza qui est une petite entrée dans le film de genre. ». Et force est de constater que cette orientation s’est également ressentie sur la sélection officielle du festival, laissant entrer en son sein des expérimentations formelles plus audacieuses qu’à l’accoutumée.

The Ferry, Shi Wei, FICA

Certes, l’orientation du festival est toujours dominée par des sujets forts, en lien avec les cultures présentées, dont émerge parfois une impression d’un certain « conformisme engagé ». The Ferry de Shi Wei est ainsi une ode aux valeurs traditionnelles chinoises, dont l’immuabilité résiste à la modernité galopante : un esprit difficilement critiquable quand on voit ce qu’entraîne le capitalisme sauvage en Chine aujourd’hui, mais flirtant avec une forme de passéisme anachronique. On est par exemple en droit de préférer les cinéastes se heurtant à cette modernité (Jia Zhang-ke en tête) que ceux idéalisant un passé que l’on a du mal, malgré les propos du réalisateur, à imaginer encore exister. Mais finalement, la seule fausse note du festival a été Again, du japonais Junichi Kanai, d’une triste maladresse dans la manière dont son sujet difficile (une histoire d’amour détruite par un viol) est traité. Sentimentalisme mal placé, esthétique de drama, mais surtout une fin irresponsable, balayant le viol d’un revers de main comme une erreur de jeunesse à partir du moment où la victime pardonne à son agresseur. Drôle de façon de sensibiliser la société japonaise à ce qui est encore un sujet tabou et est complètement minimisé.

Heureusement, les autres films sont arrivés à concilier l’ampleur de leur sujet avec une forme d’égale ampleur : Snow On Pines, le premier film de Payman Maadi, l’acteur d’Une Séparation dressait le portrait d’une femme iranienne moderne, nappé dans un magnifique noir et blanc ; Concrete Clouds transcendait son sujet par une audace formel interrogeant notre rapport aux images télévisuelles et à la culture populaire ; alors que le très beau Qisa nous a envoûtés dans un conte narré avec profondeur et maîtrise par Anup Singh (lire notre critique et entretien ici).

Eduardo Roy Jr., Quick Change, FICA

Mais la véritable surprise du festival (d’ailleurs couronné par le « Coup de cœur de la presse » dont nous faisions partie) a été Quick Change, d’Eduardo Roy Jr. Une surprise d’abord de voir une affirmation si rapide d’un talent que l’on n’avait pas réussi à percevoir dans le premier film du jeune cinéaste philippin, Baby Factory, présenté à Deauville en 2012. Plongée dans le milieu illégal du commerce de la chirurgie esthétique des transsexuelles, Quick Change navigue avec force entre charge sociale et film de genre, flirtant même parfois avec le polar et l’horreur, tout en maintenant une tendresse et une compréhension totales pour ses protagonistes. Tour à tour monstrueux, désirables, grotesques, banals, étranges, les corps filmés par Eduardo Roy Jr. témoignent d’un vrai regard de metteur en scène qui a su trouver la distance parfaite d’un artiste face à son sujet. Un coup de cœur avant tout cinématographique, qui récompense le travail d’un metteur en scène que l’on est heureux d’avoir vu éclore à Vesoul cette année.

C’est donc sans frustration que l’on quittait cette année le FICA, heureux d’avoir pu y trouver, en plus de sa sympathie unique, de vraies doses de cinéma.

See you next year in Vesoul, Space Cowboys!

Victor Lopez

Quick Change, d’Edouardo Roy Jr, Philippines, 2013. Coup de Coeur de la presse au FICA de Vesoul 2014.

Pour plus d’informations sur le festival, lire ici.

LE FICA de Vesoul 2014 sur East Asia :

Édito preview : d’un festival à l’autre

Édito bilan : Quick Change ?

Podcast : spécial FICA

News : la programmation

Entretien : Martine Thérouanne, directrice du festival

Entretien : Brillante Mendoza pour Sapi

Cinéma philippin : rencontre avec Eugene Domingo (actrice) et Joji Alonson (productrice)

Critique : Qissa d’Anup Singh (Visages des Cinémas d’Asie Contemporains)

Entretien : Anup Singh, réalisateur de Quissa

Critique : Leçons d’harmonie d’Emir Baigazin (Avoir 20 ans)

FICA 2014 : Le palmarès

Entretien : Atiq Rahimi réalisateur de Syngué Sabour (Carte Blanche de nos 20 ans)

Entretien : Phan Dang Di et Ngyuen Ha Phong, réalisateurs de Bi, n’aie pas peur (Francophonies d’Asie, le Vietnam)

Critique : Vertiges de Bùi Thac Chuyên (Francophonies d’Asie, le Vietnam)

Critique : L’Hirondelle d’or de King Hu (La Carte blanche de nos 20 ans)

Critique : Thy Womb de Brillante Ma. Mendoza (Regard sur le cinéma philippin)

Critique : Like Someone In Love d’Abbas Kiarostami (La carte blanche de nos 20 ans)

Critique : Les Enfants de Belle Ville d’Asghar Farhadi (Avoir 20 ans)

Critique : Poetry de Lee Chang-Dong (La carte blanche de nos 20 ans)

Critique : Chungking Express de Wong Kar-Wai (La carte blanche de nos 20 ans)