Festival Allers-Retours 2020 – Fish Park de Chai Xiaoyu : les émotions comme des écumes

Posté le 4 février 2020 par

Le Festival Allers-Retours présente pour sa troisième édition une programmation riche en surprises, tant du côté documentaire que du côté fiction. Nous y avons vu Fish Park de Chai Xiaoyu, premier film du réalisateur, tourné avec ses proches et un budget très limité.

Nous y suivons Xiaoyu, la trentaine, et bon à rien. Il n’a jamais vraiment connu ses parents, et a été élevé par son oncle, qui lui a offert une sinécure dans son entreprise. L’essentiel de ses journées consiste à observer les fourmis sur les chantiers de démolition, boire du soda à l’orange et nourrir les poissons de son aquarium. Un jour, Haifeng, un vieil ami de Xiaoyu, vient lui rendre visite avec sa petite amie Yanyan.

Le titre du film aurait pu être « Fish Park, ou l’errance d’une jeunesse pékinoise ». En effet, Xiaoyu, le personnage principal, déambule dans Pékin à la recherche de connexions (avec des femmes bien souvent), sans montrer le moindre intérêt pour une quelconque activité, hormis boire des sodas en observant la femme de l’épicier du coin. L’arrivée de son ami Haifeng avec sa petite-amie Yanyan va remettre en question son mode de vie.

Toute la force de ce premier long-métrage réside dans une infime frontière entre la comédie et le drame. Nous sourions souvent devant les multiples compagnes de l’oncle de Xiaoyu, rions parfois aussi devant ce premier film qui nous renvoie aux années d’indécisions, une fois les études terminées, où il est maintenant temps de devenir adultes et responsables. Xiaoyu appartient à la classe moyenne pékinoise, mais est suffisamment aisé pour ne pas avoir besoin de chercher un travail immédiatement. Il arbore donc un air blasé, ce qui permet à l’ironie de ne jamais être trop éloignée du récit. De son confort découle un temps infini qui, au lieu d’être consacré à l’introspection, se caractérise par un évitement de tout attachement émotionnel. C’est en effet cela qui nous place également constamment au bord du drame : Xiaoyu est en détachement constant, à la recherche d’un foyer perdu.

Au milieu du film, face à son aquarium rempli de poissons rouges, Xiaoyu dit à Yanyan qu’il se sent comme le plus petit poisson, mal nourri et différent des autres. Le jeune homme exprime ici discrètement son sentiment de décalage avec la société. Le titre du film fait donc un lien entre la Chine et cet aquarium, qui, bien qu’il donne l’espace aux poissons de nager en son sein, les barrières sont bien réelles et limitent les individus à un carcan sociétal et urbain.

Le foyer perdu fait écho à la démolition des maisons de ce quartier pékinois, décor de fond du film. Cette histoire est très personnelle pour le réalisateur qui a lui-même vu sa maison détruite lors des grandes campagnes de rénovation de la capitale. L’errance de Xiaoyu (prénom également du réalisateur) se fait dans un Pékin ressemblant étrangement à une zone sinistrée. On pense alors inévitablement au magnifique An Elephant Sitting Still de Hu Bo, où les personnages eux aussi évoluaient dans une ville en décombres. Si le ton du film de Hu Bo est toujours grave, Fish Park s’en distingue par le choix d’un ton plus léger. Pour autant, la toile de fond est proche. Le tissu émotionnel de cette jeunesse est un miroir du tissu urbain qui se désagrège, tel l’abandon d’idéaux. Cette thématique est illustrée par la plus belle réplique du film, prononcée au milieu des débris d’une des maisons du quartier : « Est-ce que tes émotions sont liées aux démolitions ? ».

Ce premier film est donc une très bonne surprise tant par ses acteurs si naturels, bien que non professionnels, que par le ton qu’il instaure, entre comédie et drame, avec beaucoup de subtilité. Avant la projection du film, une citation du réalisateur a été lue au public, et elle résume à elle seule les ambitions narratives de ce joli premier long-métrage : « L’homme a besoin d’être soutenu par ses émotions. Mais aujourd’hui, les émotions sont devenues des écumes en ville. L’homme perd progressivement le concept de l’amour et c’est très effrayant ».

Marie Culadet

Fish Park de  Chai Xiaoyu. Chine. 2019. Projeté au Festival Allers-Retours 2020

Imprimer


Laissez un commentaire


*