Black Movie Countdown : J-2, Haewon et les hommes de Hong Sang-Soo : à la recherche du temps perdu

Posté le 15 janvier 2014 par

La nouvelle itération d’Hong Sang-soo, après les très beaux The Day He Arrives et In Another Country, confirme qu’au-delà de l’effet de répétition se cachent des trésors de sensibilité et de finesse.

Haewon et les hommes

Haewon (sublime Jeong Eun-chae), étudiante tourmentée, rêve sur des tables de café ou dans une bibliothèque. Des songes qui l’emmènent loin, hors de cette Corée du Sud qui l’étouffe, de ces gens qui ne la comprennent pas. Elle y croise Jane Birkin, qui lui dit à quel point elle est belle. Le contact est immédiat entre les deux femmes. Haewon rayonne. Comme une mère rêvée, qui la sert dans ses bras et lui apporte du réconfort. En se réveillant, la situation est tout autre. Cruellement Hong Sang-soo filme les derniers instants de la jeune fille avec sa mère qui part au Canada. Miroir de l’introduction fantasmée, cette première séparation pose déjà la jeune fille en héroïne tragique, abandonnée de toute part.

Dans un Séoul gris et brumeux, Haewon traine son spleen, revient sur des lieux familiers. De cette ville, nous ne verrons que quelques bribes. Un parc désert ou presque, des statues, une librairie, un plan de rénovation, qui viennent envahir le cadre d’un Hong observateur d’une société en perpétuelle évolution. Le changement, créateur d’une angoisse latente pour Haewon et pour tous ceux qui l’entourent. L’inconfort est de tous les plans ou presque, engendrant un drôle de malaise. On filme les lieux comme des cimetières, les mégots de cigarettes que l’on n’écrase pas comme des personnes qu’on abandonne lâchement. Quand son ancien amant (Lee Seong-gyoon), professeur d’université, apparaît dans le cadre, Haewon retrouve un espoir qu’on sait illusoire. Les paroles sont maladroites, les baisers presque forcés, la fin est consommée. À ce sentiment d’abandon initial succède une envie de fugue irrépressible. La tragédie continue.

Au détour d’une rue, les deux amants passent devant le motel dans lequel ils ont vécu leur première nuit de folle passion. Pourtant, l’amant semble avoir un peu oublié. On se tient la main, on se dit des mots doux, on se ment à soi-même. Haewon et son amant ne cherchent pas à raviver la flamme contrairement à ce qu’ils disent. Ils sont à la recherche d’un temps révolu. Leur errance est une sorte de trip nostalgique, d’au revoir définitif. Au fur et à mesure, Haewon se souvient pourquoi ils avaient rompu. Comme toujours chez Hong, l’homme est très lâche, faussement passionné, toujours égoïste.

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La mélodie du cinéaste est un peu toujours la même, mais la variation constante. Elle est souvent personnifiée ou carrément expliquée. Ici, on l’entend. De son vieux magnétophone, le professeur lance la 7ème symphonie de Beethoven. Il explique à Haewon que c’est une nouvelle orchestration. Cette musique qu’on entendait également dans Night and Day est cette fois dissonante, un peu ringarde. Le pathétique en un plan : de dos, l’homme sanglote en écoutant son vieux coucou qui crache la 7ème. La musique comme métaphore d’un cinéma qui répète ses motifs en y apportant de légères mutations.

Hong, plus que jamais, use de l’auto-citation. Quand l’exercice se révèle totalement égotiste chez certains, elle participe ici à la tragédie quotidienne que vit Haewon. Elle déconstruit tous les motifs d’espoir, chaque mot d’amour, chaque instant. S’il faut connaître un tant soit peu le cinéma du coréen pour apprécier pleinement l’effet, il en résulte tout de même un mélange assez fascinant de malaise profond et de satisfaction. Par l’auto-citation, Hong enrichit son sous-texte d’une ironie glaçante. Quand on voit Haewon boire un café avec un prof venu d’Amérique et croire en ses rêves de mariage, le spectateur averti voit une répétition de la théorie de drague évoquée par le personnage de The Day He Arrives. Hong invoque carrément ses personnages de Ha Ha Ha, couple adultère, le temps d’une scène, montrant par la même occasion l’impasse dans laquelle se trouve Haewon vis-à-vis de sa relation avec ce professeur marié et père de famille. L’exercice est donc à la fois satisfaisant et profond, indiquant tout autant le goût d’Hong pour les variations subtiles qu’une véritable cohérence dans son œuvre.

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L’onirisme qui fait entrer le film dans une dimension presque fantastique devient donc nécessaire et logique pour exprimer la détresse de Haewon qui devient une sorte de pendant coréen au personnage d’Isabelle Huppert dans In Another Country. D’ailleurs, on peut voir Haewon et les hommes comme le prolongement d’une seule séquence du précédent film de Hong. Celle dans laquelle l’actrice française imagine ses retrouvailles avec son amant qui serait venu lui rendre visite. Le personnage – et a fortiori le spectateur- se perd dans les limbes et ne différencie plus la vie rêvée de la vie réelle. Haewon et les hommes demeure avant tout l’histoire d’un éveil aux réalités, brutal et morne, une tragédie du quotidien.

Jérémy Coifman.

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