The Grandmaster de Wong Kar-wai, critique (Deauville Asia 2013)

Posté le 6 mars 2013 par

Après quelques années d’attente, The Grandmaster, le nouveau Wong Kar-wai se dévoile enfin. Le résultat est un film complexe, enivrant, souvent splendide, mais dont la teneur paradoxale et méandreuse laisse cependant l’étrange impression d’avoir assisté à la fois à un grand film et à une œuvre ratée. Tentatives d’éclaircissements par Victor Lopez.

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Si les films de Wong Kar-wai aiment perdre leurs spectateurs dans des boucles temporelles et brouiller les repères chronologiques au fil d’ellipses et de narrations enchevêtrées, reflétant les instants sous de multiples points de vue, la filmographie du cinéaste elle-même joue de ces répétitions et surimpressions, tant par ses thématiques que par ses motifs. The Grandmaster, s’il aborde les rivages inconnus pour WKW du film d’arts martiaux, n’échappe pas à la règle. Poétisation de l’instant figé, mélancolie insondable, voix off nostalgique : The Grandmaster ressemble formellement plus à un Wong Kar-wai que n’importe lequel de ses autres films. Les effets de styles eux-mêmes rappellent ses métrages passés. Ici une attente dans une gare figeant Zhang Ziyi immobile pendant que les hommes s’agitent autour d’elle reflète l’attente de Tony Leung dans Chungking Express ; là, des prostituées d’une maison close montant des escaliers évoquent les marches de Maggie Cheung dans In the Mood for Love ; ou encore l’utilisation de ralentis lors d’une scène d’acrobaties martiales font échos aux combats de sabres tournés de la même façon dans Les Cendres du temps.

C’est d’ailleurs de ce dernier titre dont se rapproche a priori le plus The Grandmaster dans l’œuvre du cinéaste. À la différence près que le wu xia pian différait sans cesse l’action et se bornait à montrer l’avant et l’après, l’attente et le mouvement des sentiments plutôt que ceux des corps, quand The Grandmaster, dès son ouverture, offre au spectateur de sublimes scènes de combat. Il ne s’agit pas de filmer les cendres, mais la flamme, le brasier qui s’enflamme, les corps qui se consument dans une danse violente et subtilement chorégraphiée.

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Cela faisait longtemps que les chorégraphies de Yuen Woo-ping n’avaient pas autant été magnifiées par l’œil d’un cinéaste. À la fois brutaux quand il s’agit de sentir la violence des coups et élégants par le ballet câblé que forment les corps, les combats de The Grandmaster hypnotisent et enchantent, jusqu’au sensuel duel entre Ip Man (Tony Leung) et Gong Er (Zhang Ziyi), avant de se faire plus rares, et plus courts, comme si le film avait donné sa part d’action avant épuisement. Le film reprend cependant un souffle nouveau, épique, dans sa dernière partie. Bourré d’ellipses et de changements de perspectives, le centre du film est peut-être moins passionnant, transitionnel, étrangement rythmé comme s’il n’arrivait à se fixer nulle part. Mais le projet de Wong Kar-wai y prend cependant corps, et l’on comprend vite que c’est plus du côté de Sergio Leone et de la fresque historique subjective qu’est Il était une fois en Amérique, auquel il rend un bel hommage musical, que de Wilson Yip et du biopic martial que se situe avec ce film le réalisateur.

Printemps, hiver et… hiver

Ce côté progressif de la narration, passant d’une première partie à l’action omniprésente et toujours contemplative, que le narrateur appelle le printemps, à une longue conclusion en forme de tragédie opératique (l’hiver), donne ainsi une composition multiple au film. Moins que Les Cendres du temps, elliptique mais d’un seul tenant, c’est finalement plus à l’expérimentation fantomatique de 2046 que se rapproche The Grandmaster. Non seulement par l’invocation des figures propres au cinéma de WKW, que par son aspect fragmenté, multiple et biscornu. On peut d’ailleurs regretter la perte du pluriel du titre au fil des années de préparation. The Grandmaster(s) ne suit que superficiellement le parcours de Ip Man, mais bifurque fréquemment vers d’autres personnages, d’autres maîtres. Si le film est à la première personne et est raconté par Ip Man, les points de vue divergent souvent, le film optant parfois pour une narration objective, avec des cartons historiques à l’écran, quand le protagoniste s’emparant pleinement de la narration via la voix soff ne devient pas tout simplement Gong Er.

Don’t look back

Pluriel, le film ne l’est pas seulement par ses protagonistes et par les tonalités qu’il aborde, il l’est également par ses thématiques qui défilent à la vitesse dont les années passent dans le film. Véritable maelström d’idées, The Grandmaster s’attache tout de même, par le regard qu’il porte sur le passé de la Chine (ainsi que sur les œuvres passées de son auteur) à interroger ce qui reste, ce qui est transmis. Pour la première fois, la place du collectif prime pour WKW sur l’intime, le grand mouvement de l’histoire sur le presque rien qui donne parfois tout son sens à une vie. Et pourtant, il n’est pas sûr que ce soit cet aspect qui reste au final de la dernière œuvre de Wong Kar-wai. L’attention portée à la sensation éprouvée lorsque deux visages se frôlent, à une mèche de cheveu qui brûle, ou à un bouton de manteau montre que le cinéaste reste attaché à ces petites choses qui font la grandeur indépassable de son cinéma.

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Pour l’instant, et après une première vision, on peut affirmer que The Grandmaster est l’œuvre d’un immense cinéaste, maîtrisant parfaitement ses outils artistiques. Quand à savoir si c’est un grand film ou une œuvre riche mais ratée de son auteur, seul le temps nous le dira. Si l’image d’un bouton de manteau cloué sur un mur reste gravé aussi éternellement que celle d’une boîte d’ananas périmés, le pari sera gagné. Mais si la magnificence des combats et la somptuosité de l’ensemble seules demeurent, rien n’est moins sûr…

Verdict :

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Victor Lopez.

The Grandmaster de Wong Kar-wai est présenté à Deauville Asia 2013 le 8 mars dans le cadre d’un hommage à Wong Kar-wai, en sa présence.

Pour plus d’informations, voir ici !

En salles le 17/04/2013.