Entretien avec Katashima Ikki lors du Festival Kinotayo à Paris

Posté le 21 mars 2013 par

Entretien avec Katashima Ikki, réalisateur de The Tang of Lemon, projeté lors de la 7ème édition du Festival Kinotayo. Par Marc L’Helgoualc’h.

Katashima Ikki est loin d’être un nouveau venu dans l’industrie cinématographique nippone. Il a débuté au début des années 90 comme assistant réalisateur de personnalités telles que Wakamatsu Koji, Iwai Shunji et Murakami Ryu. Il a ensuite réalisé son premier long métrage en 1995 avec la comédie Crazy Cops. Parmi ses autres œuvres, on peut citer Serial Dad (2008) et Pure Asia (2010), ce dernier ayant suscité quelques remous au Japon en raison de son sujet sensible : le racisme japonais envers les Coréens et l’esprit de vengeance d’une jeunesse paumée. Un film qui a fait le tour de plusieurs festivals européens. Katashima était présent au Festival Kinotayo pour présenter The Tang of Lemon, un film sur le destin croisé d’une mère et de sa fille.

Dans cet entretien, Katashima revient sur le début de sa carrière, ses rencontres avec Wakamatsu Koji et Suzuki Seijun, la création de sa maison de production Dogsugar Inc., ainsi que sur son prochain film, Perfect Education 8, dernier épisode de cette fameuse franchise érotique sur la séquestration de jeunes filles.

Affiche de The Tang of Lemon, film en compétition au Festival Kinotayo.

Affiche de The Tang of Lemon, film en compétition au Festival Kinotayo.

Vous avez suivi des études en sciences politiques avant de faire du cinéma. Ce n’est pas un parcours typique.

Souvent au Japon, les études que l’on fait à la fac n’ont aucun rapport avec le métier que l’on exerce par la suite. À l’époque, j’avais déjà commencé à tourner des films en 8 mm. Les étudiants ont la possibilité d’entrer dans des sortes de ciné-clubs. J’en faisais partie.

Vous avez commencé votre carrière en tant qu’assistant réalisateur de Wakamatsu Koji ?

J’ai été assistant réalisateur pour Netorare Sosuke [Sosuke le Cocu en français, ndla] en 1992. J’ai aussi été assistant lumière pour deux autres films. Je voulais absolument entrer dans l’équipe de Wakamatsu.

Wakamatsu est mort il y a quelques mois. Avez-vous des anecdotes à son sujet ?

Sur les tournages, c’était quelqu’un de très pressé. Quand j’ai travaillé avec lui en 1992, Wakamatsu était à un tournant de sa carrière. Il a débuté dans le cinéma avec beaucoup de succès par des pinku eiga mais il commençait à s’ouvrir au cinéma plus commercial. Sosuke le Cocu avait un budget assez conséquent, ce qui, rétrospectivement, n’est pas arrivé souvent dans la carrière de Wakamatsu. Il cherchait une nouvelle façon de faire du cinéma, un nouveau style. Il écrivait, réalisait, montait, produisait et distribuait lui-même ses projets. C’est comme ça qu’il est devenu célèbre mondialement. Je l’ai connu pendant vingt ans et j’ai eu beaucoup de chance de le rencontrer dans cette période charnière entre les pinku eiga et films indépendants plus grand public.

Comment a été médiatisée la mort de Wakamatsu au Japon ?

Au Japon, il a toujours été considéré comme un rebelle. À la fin de sa carrière, il a beaucoup tourné, il est allé au festival du film de Berlin, il a reçu des prix et il est devenu très connu à l’étranger. Mais au Japon, même à sa mort, la presse l’a présenté comme un cinéaste rebelle.

Quel est votre premier film en tant que réalisateur ?

En 1995, j’ai réalisé une comédie qui s’appelle Crazy Cops. C’est un film avec des policiers un peu fous qui créent beaucoup de pagaille.

La jeune Kan Hanae dans Pistol Opera de Suzuki Seijun.

La jeune Kan Hanae dans Pistol Opera de Suzuki Seijun.

Vous n’êtes pas seulement réalisateur puisque vous avez aussi créé votre société de production, Dogsugar Inc.

Avant de créer cette société, j’étais déjà producteur. J’avais notamment produit des films de Suzuki Seijun. Je suis avant tout devenu producteur parce que je ne trouvais personne pour produire mes films. Mais pour produire mes films, il fallait une société. J’ai donc créé Dogsugar Inc.

Quels films de Suzuki Seijun avez-vous produit ? Comment était-il sur les tournages ?

J’ai produit Pistol Opera (2001) et Princess Rakoon (2005). Il était comme un sage, on ne comprenait rien de ce qu’il disait. Il avait un charme assez particulier. Si l’on considère Wakamatsu comme un rebelle politique, Suzuki est un rebelle esthétique.

Vous avez aussi produit Postman Blues de Sabu. Son dernier film, Bunny Drop était projeté au Festival Kinotayo. L’avez-vous vu ? Que pensez-vous de la carrière de Sabu ?

Je n’ai pas vu Bunny Drop. Postman Blues était le deuxième film de Sabu et mon premier film en tant que producteur. La société de production avait fait appel à moi. Dès la lecture du scénario de Postman Blues, j’ai vu son côté divertissant. D’ailleurs, beaucoup de gens me disent que c’est le meilleur film de Sabu. Cela me fait vraiment plaisir.

Kan Hanae dans Pure Asia, un film en noir et blanc.

Kan Hanae dans Pure Asia, un film en noir et blanc.

Vous avez réalisé plusieurs films chocs dont Serial Dad, dans lequel un salaryman pète un plomb et se met à tuer des gens. Est-ce un film comique ou sérieux ?

Serial Dad est une comédie noire. Un salaryman tue une personne et finit par penser qu’il faut tuer toutes les personnes mauvaises de la société japonaise. C’est comme dans Crime et Châtiment de Dostoïevski.

Votre film suivant, Pure Asia, est également violent. A-t-il suscité une controverse au Japon ?

Je ne sais pas si vous connaissez l’histoire entre la Corée et le Japon, c’est peut-être un peu difficile à comprendre pour les Occidentaux. Le Japon a occupé la péninsule coréenne et les rapports entre les deux pays sont un peu tendus. Des Coréens vivent au Japon mais sont souvent victimes de discrimination. Ça a été difficile de trouver des salles qui acceptent de projeter le film. Les Japonais ne voulaient pas voir ce film qui montre un mauvais côté du pays.

Oshima Nagisa a également réalisé des films qui parlent de la discrimination à l’encontre des Coréens, notamment Traité sur les chansons paillardes japonaises (1967) et La Pendaison (1968). Avez-vous réalisé Pure Asia dans le même esprit ?

Je ne sais pas si on peut considérer Pure Asia comme le même genre des deux films d’Oshima. Bien sûr, ces films traitent du même sujet : les relations difficiles entre le Japon et la Corée. Depuis que je suis étudiant, j’aime beaucoup Oshima Nagisa, c’est un peu une icône aux côtés de Suzuki et Wakamatsu. Je n’ai pas travaillé avec Oshima mais ses œuvres m’ont beaucoup influencé.

En 2004, vous avez réalisé un film au titre étrange : Wing of Hakenkreuz. De quoi parle-t-il ?

C’est une histoire de jeunes voyous insatisfaits de la société japonaise et qui se révoltent. Des sociologues et des commentateurs de la société ont surnommé ces voyous les « ailes de Hakenkreutz » [ce qui signifie « croix gammée », ndla]. En fait, ce sont les Allemands qui ont commencé par les surnommer ainsi en référence aux néo-nazis.

Kan Hanae et Go Ayana dans The Tang of Lemon.

Kan Hanae et Go Ayana dans The Tang of Lemon.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire un film sur la folie avec The Tang of Lemon ?

Les films qui ont précédé The Tang of Lemon parlent, d’une façon ou d’une autre, du terrorisme. C’est le cas pour les voyous de Wing of Hakenkreutz, le salaryman meurtrier de Serial Dad et les jeunes révoltés de Pure Asia. Pour The Tang of Lemon, je me suis intéressé aux relations entre une mère et sa fille. Il peut exister un terrorisme de la mère à l’encontre de sa fille. La mère domine la fille. On peut dire qu’il y a un thème commun dans ces quatre films. Ce terrorisme au sein de la famille est peut-être lié à un terrorisme à un niveau plus global.

Comment s’est déroulée l’écriture du script ?

Je n’ai jamais tourné un film dont le scénario m’a été confié par un producteur ou un scénariste. J’ai besoin de travailler moi-même le scénario du début jusqu’à la fin. Pour The Tang of Lemon, j’ai collaboré étroitement avec le scénariste. Je me suis occupé de l’ambiance que l’on voulait donner au film. Quand le scénario était prêt, je savais à peu près dans quelle direction j’irai sur le tournage. Bien sûr, j’ai aussi collaboré avec l’équipe technique et les acteurs. Pour The Tang of Lemon, j’ai commencé à travailler de zéro. L’écriture du scénario a duré six mois.

Quels sont vos projets ?

Depuis The Tang of Lemon, j’ai tourné un autre film. Un célèbre producteur a vu The Tang of Lemon et m’a proposé de réaliser le huitième épisode de la série Perfect Education. Peut-être aurez-vous l’occasion de le voir cette année en France. Le concept de la série est qu’un homme séquestre une jeune fille. Au début, celle-ci rejette l’homme mais finit par l’accepter et l’aimer. Comme il s’agit d’un film érotique, il faut montrer des scènes de sexe et de violence. Mais à part ça, le réalisateur a beaucoup de liberté. C’était nouveau pour moi de travailler sur un scénario déjà écrit. Je me suis bien amusé.

Dans beaucoup de films érotiques japonais, y compris dans la série Perfect Education, la femme prend du plaisir à être violée et soumise. Que pensez-vous de cette vision machiste de la sexualité ?

Je n’ai pas vu tous les films érotiques japonais donc je ne sais pas si c’est la tendance générale. Au contraire, j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de films qui décrivent des femmes qui finissent par prendre le pouvoir et dominer l’homme. C’est le cas dans Perfect Education 8.

L’entretien en vidéo :

Entretien réalisé lors du Festival Kinotayo.Remerciements avec Megumi Kobayashi pour la traduction et à Nolwenn Le Minez sans qui l’interview n’aurait pas été possible.