FFCP 2025 – The Land of Morning Calm de Park Ri-woong

Posté le 4 novembre 2025 par

Récompensé à Busan et déjà passé par Vesoul, le second long métrage de Park Ri-woong, The Land of Morning Calm était l’un des retours attendus de ce 20e Festivai du Film Coréen à Paris (FFCP). En effet, le réalisateur s’était déjà distingué avec The Girl on a Bulldozer, qui présentait lui aussi des personnages accablés par les aléas de la vie et la brutalité de la société coréenne mais refusant de se laisser abattre, avec des solutions parfois radicales. Cette fois, il s’agit de l’histoire d’un vieux pêcheur bougon qui accepte d’aider son employé à disparaitre, pour fuir sa vie qu’il ne supporte plus, sans se rendre compte des conséquences pour ceux qui restent.

A la fois tableau d’une société dans la tourmente et drame intime, le film confirme le bien qu’on pouvait penser du réalisateur après son premier long. Après le portrait d’une jeune fille en colère, il se penche cette fois sur un vieil homme qui semble avoir accepté son destin, hanté par le deuil, mais qui va finir par se révolter non pour lui-même mais pour autrui, comme pour exorciser les fantômes de son passé. Le film prend clairement le parti des pêcheurs, les plans d’ouverture établissant le travail nocturne qui les use et les met en danger, où seules les mouettes semblent déjà éveillées (le titre original signifie Les Mouettes de la mer du matin). Diverses questions de société sont abordées : les secours qui s’arrêtent la nuit tombée parce que la mer est jugée trop dangereuse, alors que les marins sont en mer, les jeux de pouvoir des petits chefs qui, se sentant eux-mêmes sous-fifres, prennent plaisir à humilier autrui, la xénophobie mêlée de jalousie des habitants de zones périphériques se sentant déclassées… Mais toutes ces thématiques apparaissent naturellement au fil d’un récit tragicomique, sur un plan en apparence simple qui tourne mal.

En effet, le cœur du film se trouve dans les répercussions de la disparition du pêcheur sur la vie de sa vieille mère et de sa compagne, immigrée vietnamienne dont la naturalisation n’est pas encore actée. L’évaporé n’a pas jugé bon de prévenir les deux femmes de son plan, et celles-ci refusent d’accepter sa mort. Le film choisit des façons brutales pour montrer toute la force de cette absence, la jeune femme connaissant une fausse couche et la mère continuant de hanter le film avec une poussette vide comme déambulateur. La distribution est excellente, des acteurs vétérans Yoon Joo-sang, en marin misanthrope au passé dramatique, le pied pris dans les filets de ses mensonges, et Yang Hee-kyung, en statue voutée dans sa douleur, à la jeune modèle vietnamienne Khazak. Plus le film avance, plus les personnages prennent en épaisseur, au fur et à mesure où les enjeux propres à chacun se révèlent. Tous les personnages ne sont pas sympathiques mais la règle du jeu est claire, « ce qui est terrible sur terre, c’est que chacun a ses raisons ». Mais chaque fois que quelqu’un essaie d’imposer son ordre rigide à autrui ou manque d’empathie en oubliant de se mettre à la place de l’autre, les choses virent à la catastrophe, que ce soit dans le récit présent ou dans ce qu’on découvre du passé de cette communauté.

Comme dans son film précédent, Park Ri-woong présente ici un mélange de réalisme social, assez sobre, avec des pics d’énergie quand les personnages refusent de continuer à se débattre comme des poissons dans l’air mortel et de regagner leur dignité volée, comme si on rejouait par à-coups le carton final du Dernier des hommes de Murnau : « Mais l’auteur a eu pitié de son héros et inventé un épilogue à peine croyable« . Sous l’air renfermé du personnage principal ou de la mère mais aussi sous la détresse de la jeune vietnamienne, quelque chose bout, capable de spectaculaires excès. Dans ce film, les personnages des parents ne sont pas tout à fait innocents, mais leur aveuglement parfois brutal quant aux aspirations de leurs enfants est mélangé à la démonstration d’une humanité parfois hyperbolique. Il n’est pas anodin que la question de la xénophobie et de l’objectification des femmes étrangères revienne plusieurs fois pendant le film, mais que le personnage qui protège finalement la jeune vietnamienne soit le vétéran du Vietnam que l’une des premières séquence du film nous a présenté comme un oncle gênant pendant un repas de plats vietnamiens.  Il y a visiblement chez ce réalisateur une volonté de croire en l’être humain, malgré l’ordre du monde. A la fin du film, il y a une très jolie scène, incompréhensible hors contexte, où ce qui est dit s’entrechoque avec ce qui est joué, dans un dépassement que les autres personnages ne peuvent littéralement pas comprendre.

Entre chronique de la vie des pêcheurs, comédie noire sur un plan qui tourne mal, enfer kafkaïen sur le poids bureaucratique, regard à la Maupassant sur les relations dans une petite communauté, c’est un deuxième essai toujours aussi convainquant pour le réalisateur. Plein de cœur mais jamais lénifiant, plein d’acuité mais jamais voyeuriste, moraliste mais pas moralisateur, avec des personnages aussi infaillibles qu’humains, c’est un très joli film pour qui veut bien croire qu’une étincelle peut briller « même dans l’œil mort d’un merlan ».

Florent Dichy

The Land of Morning Calm de Park Ri-woong. Corée. 2024. Projeté au FFCP 2025