VIDEO – Hommes, porcs et loups de Fukasaku Kinji

Posté le 15 septembre 2025 par

Roboto Films sort en édition Blu-ray Hommes, porcs et loups de Fukasaku Kinji, premier jalon majeur de la vision noire du monde des yakuzas dans le corpus du réalisateur.

Dans le Japon d’après-guerre, trois frères devenus malfrats par des chemins différents entrent dans une spirale de violence à la suite d’un « coup » organisé par l’un d’entre eux.

Hommes, porcs et loups est une des premières manifestations de la personnalité iconoclaste de Fukasaku Kinji, une œuvre dont la noirceur et l’âpreté annoncent ses films de yakuzas réalistes et démystificateurs. Jusque-là, Fukasaku était un solide artisan du studio Toei, canalisant ses ardeurs sur des productions plus calibrées même si des prémices se ressentent sur certaines comme Défi d’amour propre – Fierté agressive (1962). Néanmoins, le contexte de l’époque se prête à des œuvres plus virulentes. Lorgnant sur les audaces de la Nouvelle Vague française, les studios façonnent ex-nihilo son pendant japonais dans lequel vont s’engouffrer Oshima Nagisa, Imamura Shohei, pour parler des maux contemporains du Japon et notamment de sa jeunesse.

Hommes, porcs et loups est au carrefour de ces tendances puisque sa nature de film criminel le place, sur le papier, dans la vague émergente du Ninkyo Eiga, le film de yakuza chevaleresque. Takakura Ken tourne d’ailleurs parallèlement au film de Fukasaku, La Légende des yakuzas de Makino Masahiro dont le succès sera fondateur pour le Ninkyo Eiga, et dans lequel il présente une image héroïque du gangster. Rien de tout cela dans Hommes, porcs et loups dont le récit et les personnages représentent les stigmates du passé encore proches du Japon, et de ses dérives contemporaines. Une fratrie ayant grandi dans les bidonvilles durant l’après-guerre se déchire désormais pour échapper à sa condition. Le titre désigne chaque membre de la fratrie, sa personnalité et le rôle qu’il est amené à jouer dans le récit. Le loup semble être Kuroki (Mikuni Rentaro), l’aîné, mû par un instinct de survie qui l’a amené à laisser la misère (et par extension ses frères et sa mère) derrière lui pour intégrer la « meute » au sein de laquelle il pourra s’élever, les yakuzas. Le porc est le très agité cadet Jiro (Takakura Ken), gangster plus solitaire, brutal et imprévisible ayant également fui le bidonville mais pour des méfaits plus chaotiques qui l’ont conduit en prison. Enfin, l’homme est Sabu (Kitaoji Kin’ya), le benjamin, qui a assumé ses responsabilités en soignant leur mère jusqu’à son dernier souffle, et vivotant avec ses amis au sein du bidonville.

La rancœur et le ressentiment guident désormais les rapports de la fratrie. Alors qu’ils pourraient chacun être autonomes, même dans leurs entreprises criminelles, chacun de leurs actes ne vise qu’à une confusion entre un désir de se rapprocher et de se détruire. L’acte ayant causé l’emprisonnement de Jiro, mais également son projet de casse audacieux, cible le clan yakuza de Kuroki dont il veut dérober la cagnotte. Il sollicite Sabu et ses amis pour effectuer le coup, mais ce dernier, à tort ou à raison, va soupçonner une trahison et cacher le butin, provoquant une réaction en chaîne tragique. Enfin Kuroki, sous la pression de son clan, va devoir choisir entre la loyauté du monde criminel et les liens du sang.

L’année 1964 est celle des Jeux Olympiques de Tokyo, affirmation aux yeux du monde du redressement définitif du Japon par le biais économique et capitaliste. L’individualisme que cet état génère se ressent dans l’abandon initial de Kuroki, mais également dans le discours de Jiro lorsqu’il débauchera Sabu. L’appât du gain, la paranoïa et la méfiance guident les rapports humains, entre frères comme entre complices. Le long huis-clos de la seconde partie nuance cependant ce constat. La solidarité de Sabu et de ses amis, restés au bidonville en cultivant l’entraide et l’amitié, va leur faire tenir le cap durant les douloureuses tortures qu’ils vont subir pour révéler l’emplacement du butin. A l’inverse, la suspicion règne très vite entre Jiro et son acolyte Mizuhara (Ehara Shinjiro). Les paroles hargneuses et les actes brutaux constituent une véritable catharsis montrant, dans la moiteur du huis-clos, la nature torturée des rapports dans lesquels se dispute cet instinct fraternel pas totalement rompu, et les instincts carnassiers de l’appât du gain.

Le tournage d’une grande partie du film dans un véritable bidonville exprime l’influence assumée par Fukasaku du néoréalisme italien. Le scénario (coécrit par Sato Jun’ya) en réunissant les trois frères dans ce lieu chargé de souvenirs douloureux, en fait un véritable espace mental qui incarne une boucle, les ramenant tous constamment à leur condition. Lorsque le ravivement des sentiments fraternels se profile au gré des alliances, c’est malheureusement encore le plus individualiste qui est amené à survivre. La moiteur, l’intensité et la puissance dramatique de Fukasaku sont déjà là à travers son style formel si nerveux qui s’affirme. Un véritable uppercut dont on ne ressort pas indemne.

BONUS

Une interview (14 min) de Fukusaku Kinji par Yves Montmayeur, datant de 2001. Actualité du moment oblige, la discussion porte beaucoup sur Battle Royale mais l’évocation de la délinquance juvénile permet à Fukasaku de bifurquer sur sa propre jeunesse tumultueuse et son expérience des yakuzas. Il revient sur les liens troubles entre l’industrie du cinéma japonaise et certains réalisateurs avec les yakuzas. Il parle de son rapport à l’activisme politique et du message de ses films dont Battle Royale. Bien que pas directement lié à Hommes, porcs et loups, un entretien intéressant pour mieux cerner la personnalité de Fukasaku.

Un entretien (20 min) avec le scénariste du film Sato Jun’ya issu de l’édition Eureka, davantage porté sur l’expérience de travail au côté de Fukasaku Kinji, ses aspirations dans les thématiques du film. Il donne quelques éléments contextuels, tant au niveau social que du fonctionnement du studio, avec ce penchant pour la violence, cette colère rampante des démunis.

Un entretien (20 min) avec Yoshida Tatsu, producteur du film. Une discussion passionnante et franche sur la personnalité fantasque de Fukasaku, collaborateur à la fois usant et stimulant. Il dépeint les rapports humains orageux du réalisateur avec certains acteurs, les conditions difficiles de tournage dans les bidonvilles, la manière dont le film se fit sous les radars du studio.

Entretien (12 min) avec Yamane Sadao, biographe de Fukasaku Kinji qui livre des approfondissements très intéressants sur la carrière du réalisateur au moment où il s’attèle à Hommes, porcs et loups. Il évoque la manière dont le film offre un contrepoint sombre au Ninkyo Eiga naissant en parallèle, avec ses gangsters chevaleresques. Un schisme représenté par Takakura Ken, fer de lance du Ninkyo Eiga. Yamane considère Hommes, porcs et loups comme le chef d’œuvre du début de carrière de Fukasaku. Il explique la caractérisation des personnages, le choix crucial de tourner en bidonville, la vision socio-historique de Fukasaku.

Justin Kwedi

Hommes, Porcs et loups de Fukasaku Kinji. 1964. Japon. Disponible en Blu-ray chez Roboto Films.