VIDEO – Hell’s Ground d’Omar Khan : l’amour du genre

Posté le 25 mai 2019 par

Après La Bouche de Jean-Pierre et L’Aiguille, l’éditeur Badlands poursuit son exploration du cinéma indépendant. Cette fois, direction le Pakistan et le cinéma de Lollywood avec le slasher Hell’s Ground, réalisé par Omar Khan, qui sort ce mois-ci en DVD.

Tourné en seulement 30 jours en 2007, Hell’s Ground, Zibahkhana en urdu, a fait un petit tour des festivals et a reçu quelques prix, notamment aux Etats-Unis (Fantastic Film Festival d’Austin) et au Brésil (Riofan Film Festival de Rio de Janeiro et Fantaspoa Film Festival de Porto Alegre). Et pourtant, en Europe, le film est passé totalement inaperçu, même si Londres, Neuchâtel, Stockholm, Cambridge, Sitges, Valence, Oslo ou encore Helsinki ont fait le pari de le mettre en avant. Le public pakistanais a attendu, quant à lui, 2008 pour voir ce film en DVD, puisque la censure n’a pas vraiment apprécié le projet…

Premier long-métrage du réalisateur Omar Khan, Hell’s Ground met en scène une bande de jeunes qui, après avoir menti à leurs parents et fait le mur pour assister à un concert de rock, quittent leur banlieue d’Islamabad et voyagent à travers la nature sauvage. Leur van tombe en panne et ils se retrouvent à la merci de zombies mangeurs de chair, d’un auto-stoppeur menaçant et d’une tueur à la burqua.

Hell’s Ground peut, à première vue, lorgner vers le nanar. Ce plaisir coupable enchaîne en effet les poncifs des films d’horreur sans faire le moindre tri. Des jeunes au comportement cliché (un fumeur de joint, la jeune timorée, l’exubérante, le fils de bonne famille et le bachoteur sérieux) qui tombent en panne en plein milieu de nulle part. Ultra-référencé, le film s’appuie sur le cinéma de genre occidental en mélangeant absolument tout : les zombies sortant de Zombie de Romero, le fou furieux assénant son fléau digne de Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper et bien d’autres. En termes d’originalité, on peut donc repasser. L’intérêt de Hell’s Ground ne réside en effet pas sur son scénario, non seulement vu et revu mais aussi, assez bordélique, ni sur son jeu d’acteurs, souvent inexistant, ni sur sa mise en scène, assurée avec les maigres moyens dont Omar Khan disposait. Fan boy, le réalisateur l’est ; on le sent et on le voit. Le sang gicle partout, recouvrant parfois tout l’écran, ce qui peut déjà étonner le novice du cinéma de Lollywood.

Omar Khan parvient toutefois à injecter à son long-métrage des références culturelles spécifiques au Pakistan. Pour cela, il faut revenir un peu sur l’histoire du cinéma de genre pakistanais, ce que font à merveille Bastian Meiresonne et Logan Boubady dans les bonus. Hell’s Ground débute son exploitation à une période où le climat est extrêmement tendu dans le pays. Les fanatiques religieux s’attaquent en effet à tous les lieux de divertissement, dont font partie les salles de cinéma. Omar Khan est l’héritier d’une nouvelle génération qui a pu bénéficier d’une ouverture au monde par internet alors que son propre pays se refermait. Au début des années 2000, aller voir un film local est un acte de bravoure au Pakistan. L’intérêt du film réside justement dans cet acte de résistance, même si la censure finit par rattraper Hell’s Ground. Au contraire de ces prédécesseurs des années 1980, produits notamment par les frères Ramsay (Veerana par exemple), Hell’s Ground est l’un des premiers films d’horreur tient un discours social, à l’instar de Romero. Au-delà de la figure des zombies, qui est éminemment politique, le film met en scène un tueur assez subversif selon le mouvement taliban puisque ce dernier porte une burqa. Ce n’est pas anodin. Hell’s Ground n’hésite pas à ridiculiser quelque peu ses protagonistes, petits bourgeois qui vivent totalement déconnectés de la réalité qui n’ont qu’une envie : porter des jeans, montrer des décolletés et fumer des joints. Ils découvrent au fur et à mesure de leur périple la pauvreté du pays ou encore l’extrême pollution qui sévit partout. Pour cela, Omar Khan n’a pas hésité à filmer de vraies manifestations dénonçant le désastre écologique du pays.

En conclusion, Hell’s Ground est une oeuvre mineure d’un point de vue strictement cinématographique mais le cinéphile curieux du cinéma de Lollywood y trouvera son compte.

En bonus du DVD est présenté Dracula au Pakistan, véritable OFNI produit par Abdul Baqi et réalisé par Khwaja Sarfraz en 1967. L’ajout de ce film en particulier n’est pas innocent, Omar Khan ayant participé à sa restauration. D’ailleurs, de nombreux clins d’œil à Dracula au Pakistan sont présents dans Hell’s Ground, à commencer par la présence de l’acteur ayant interprété le fameux Dracula, Rehan Qavi.

Ce premier et dernier film de vampires pakistanais est une pépite à ne pas rater pour tout fan de cinéma gothique et du mythe repris par Universal puis la Hammer. Le réalisateur de Dracula au Pakistan s’est inspiré de tous ses prédécesseurs occidentaux, à commencer par ceux de la Hammer, pour en faire un long-métrage unique. Le film met en scène le professeur Tabini, pensant avoir trouvé la formule pour la vie éternelle. Il la boit mais meurt. Il revient à la vie, transformé en vampire. Au moment où Aqil Harker, docteur de son état, passe une nuit dans le château de Tabini, il est attaqué par une vampire. Le reste de l’histoire, on le connaît. Bien que se situant en dessous des standards américain et britannique, Dracula au Pakistan sort du lot puisque les infrastructures, à la fin des années 1960, sont réduites dans le pays. L’équipe technique parvient quand même à créer une ambiance gothique avec un noir et blanc travaillé. Et une fois de plus, la culture pakistanaise irrigue tout le film. Evidemment, les références religieuses ont été bannies par la censure du pays, entraînant quelques changements dans le déroulé de l’histoire, notamment Tabini, qui est donc un savant fou recherchant la vie éternelle. Ce qui distingue véritablement Dracula au Pakistan de ses voisins occidentaux sont ses scènes de danse et de chant, inspirées du cinéma bollywoodien, qui avait – et a toujours – du succès au Pakistan. On retrouve donc dans ce film un mélange de plusieurs influences, ce qui engendre un objet tout à fait intéressant à étudier même si les notes de La cucaracha en plein milieu d’une scène prêtent à sourire.

A noter qu’après la sortie de Dracula au Pakistan, le comité de censure a interdit à tous les studios du pays de produire de nouveau un film d’horreur. Tout un symbole…

Les films sont accompagnés d’une présentation et d’un bonus passionnant intitulé Aux racines du fantastique pakistanais. La jaquette a également été très travaillée puisque le visuel initial n’a pas été repris. Pour l’occasion, Badlands s’est associé avec le dessinateur Guillaume Griffon (Billy Wild) qui a su retranscrire l’ambiance de Hell’s Ground avec un aspect bien rock qui ne donne qu’une envie : regarder le film !

Elvire Rémand.

Hell’s Ground d’Omar Khan. Pakistan. 2007. En DVD chez Badlands (via Le Chat qui fume).

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