Présenté dans la section « les pépites de l’étrange », The Island de Leong Po-chih est la prochaine sortie hongkongaise horrifique de Carlotta Films. Jusqu’ici inédit en France et assez rare en-dehors de l’Asie, L’Étrange Festival nous permet une fois de plus de découvrir des raretés sur grand écran et fraichement restaurées.
Cette île isolée était supposée être déserte ! Mais le voyage de M. Cheung avec ses étudiants va tourner au cauchemar lorsqu’il découvre ses dangereux habitants : trois frères psychopathes et une maman démente formant une sympathique famille unie dans le crime.
The Island est un film d’horreur typique de son époque : des vacances scolaires, un endroit isolé du monde et des méchants sanguinaires qui, comme annoncé peu subtilement dans l’introduction, ne vont pas se retenir s’il faut s’adonner à un jeu de massacre. La bizarrerie du film tient aux ambitions du cinéaste qui inscrit son métrage dans un temps, celui du slasher américain des années 1980, de manière anachronique : au slasher des années 1980, il ajoute des éléments de son passé matriciel (le survival américain horrifique). Le mélange sur le papier est intéressant, tandis que la démarche du cinéaste pourrait même sembler avoir plusieurs décennies d’avance sur l’industrie américaine. Et dans la continuité de cette démarche qui précède presque à la relecture comico-horrifique du genre par Wes Craven, Leong Po-chih s’inscrit véritablement dans la tradition la plus commerciale et à l’origine de l’essoufflement du genre : The Island est très clairement dans la lignée de Vendredi 13. Dans The Island, il n’y a pas de personnages, que des archétypes : les méchants sont très méchants, les ados (comme l’unique adulte) ne sont que de la chair à canon insupportable et naïve livrée aux antagonistes pour le plaisir aussi bien sadique que masochiste du spectateur. La limite de sa démarche vient plutôt au fait que le cinéaste décide de convoquer aussi bien des codes arrivés à leur péremption, que des codes bien plus intéressants et qui ont donné lieu à de nombreux chefs-d’œuvre (en ajoutant notamment une forte dose de grotesque inquiétant et mystique, rappelant aussi bien Massacre à la Tronçonneuse que The Wicker Man). Malheureusement, le carnavalesque hystérique ne vient pas faire contrepoint au slasher désabusé et purement fonctionnel, les deux sont relégués sur le même plan et le film s’apparente finalement, au fur et à mesure, bien plus à une reproduction de cet essoufflement qu’à un réel vent de fraicheur.
Pourtant, il y a véritablement un pressentiment quasiment avant-gardiste dans le geste de Leong Po-chih : on sent que le cinéaste a conscience de ce qu’il fait ici, qu’il convoque ici sciemment des codes afin de jouer avec son spectateur abreuvé par ces stéréotypes archétypaux (lorsque The Island sort en 1985, le genre est déjà bien essoufflé et même les plus grandes sagas partent définitivement en roue libre). Mais d’un autre côté, le cinéaste fait de son film un pot-pourri d’influences aux ambitions drastiquement opposées, ce qui enlise la possibilité de jouer avec le spectateur : le premier degré tout à fait sérieux se heurte aux excès grotesques et, entre les deux, existe des moments à la lisière du nanar, où on ne sait plus bien où se trouvent les ambitions du cinéaste et où se trouvent ses échecs. Et finalement, de cette ambition, le cinéaste ne garde qu’un thriller respectant scrupuleusement les règles.
The Island reste tout de même une sacrée étrangeté en pressentant – possiblement involontairement – la direction que prendra le slasher aux États-Unis, des années plus tard, afin de réinjecter de l’intérêt à son cinéma horrifique. Sans réussir à concrétiser ses ambitions et en délivrant finalement un thriller horrifique assez moyen – au moins dans Vendredi 13 la mise à mort est une attraction ponctuelle qui viendra satisfaire les pulsions morbides du spectateur – The Island est aussi un témoin assez représentatif de son époque. Il est à la fois atypique dans sa conscience d’une formule horrifique surannée et tout à fait typique et banal dans son statut de production horrifique des années 1980. Il est aussi une relecture profondément hongkongaise d’un pan très américain du cinéma, ce qui aujourd’hui relativise grandement l’aspect très banal du film. Mais surtout, The Island est une étrangeté hautement dysfonctionnelle qui, par ses défauts aussi nombreux que ses ambitions, est un visionnage plutôt agréable qui plaira aussi bien aux nostalgiques, qu’aux chercheurs de nanars ou bien tout simplement aux spectateurs curieux.
Thibaut Das Neves.
The Island de Leong Po-chih Hong Kong. 1985. Projeté à L’Étrange Festival 2025.