EN SALLES – Exit 8 de Kawamura Genki

Posté le 3 septembre 2025 par

Exit 8 est l’adaptation cinématographique du jeu-vidéo et phénomène viral du même nom par le japonais Kawamura Genki, surtout connu pour son travail de producteur prolifique. Le film, d’abord passé à Cannes en sélection de minuit cette année, arrive enfin chez nous en salles chez ARP.

Un homme piégé dans un couloir de métro cherche la sortie numéro 8. Pour la trouver, il faut traquer les anomalies. S’il en voit une, il fait demi-tour. S’il n’en voit aucune, il continue. S’il se trompe, il est renvoyé à son point de départ. Parviendra-t-il à sortir de ce couloir sans fin ?

Le phénomène The Exit 8 est un reliquat d’une époque qui, si elle n’est pas encore entièrement révolue comme le prouve les dernières sorties du studio américain Blumhouse, n’est plus autant à la mode qu’elle ne l’était il y a maintenant 10 ans avec les Five Nights at Freddy’s, Slenderman, SCP et autres phénomènes internet intrinsèquement liés au jeu vidéo mais surtout, à Youtube et ses vidéastes. The Exit 8 est donc lui aussi un petit jeu d’horreur indépendant, cette fois-ci surfant sur la vague de l’horreur liminale (dont le phénomène des backrooms est le représentant le plus édifiant et dont l’influence se ressent grandement) et qui fut la coqueluche des streamers et vidéastes en 2024. Le concept est très simple : nous sommes coincés dans un couloir de métro se répétant à l’infini, à la recherche de la sortie 8. Plus on avance, plus la sortie est proche. Cependant, si l’on remarque que le couloir est sensiblement différent que d’ordinaire, il faut alors faire demi-tour. Sinon, on recommence de zéro. Cette boucle de gameplay ultra simpliste n’est pas véritablement bien exécutée par l’équipe de développement Kotake Create. Et le « jeu », disponible à moindre coût, ressemble davantage à une petite démo technique à concept qu’à un véritable jeu abouti. Sa popularité vient donc plutôt de son concept simple à comprendre et très interactif rendant le jeu agréable à regarder, de son aspect visuel très à la mode et surfant sur l’horreur liminale et les backrooms, plutôt que de sa qualité intrinsèque de bon jeu-vidéo.

Adapter The Exit 8 tombe sous le sens d’un point de vue économique, mais fait se poser beaucoup de questions d’un point de vue cinématographique : comment mettre en images une boucle de gameplay aussi purement vidéoludique (à la limite de la simple démo) et surtout aussi courte ? Le film parvient à répondre à cette question en en faisant un divertissement plus ou moins efficace mais toujours agréable à regarder. Cependant, il souligne d’autant plus l’intérêt possiblement limité d’une telle adaptation, surtout quand le cinéaste s’attelle à être aussi fidèle à son matériel d’origine. Comme le jeu et sa boucle de gameplay ultra répétitive, Kawamura Genki nous piège dans ce couloir et la déambulation sans fin de son personnage dans celui-ci. Sur les 1h35 du métrage, la traversée du couloir doit bien en représenter 1h10, choix très ambitieux et radical pour un film qui s’inscrit dans le sillon du divertissement à destination d’un public très large. Mais même sur ce terrain là, le cinéaste s’essouffle : le train fantôme ne se renouvelle pas assez et la tension qu’il construit, basée sur la répétitivité, laisse place à une horreur qui tranche paradoxalement avec ce qu’il met en place, misant sur des effets horrifiques cassant le rythme lancinant, répétitif et inquiétant de la déambulation de son personnage. Vouloir casser la répétitivité n’est pas un défaut dans une telle boucle qui peut, à force, sembler vaine. Le bât blesse quand il y a un fort déséquilibre entre le fait que l’horreur, le malaise et le ludisme du film sont basés sur cette même répétitivité, mais que le cinéaste ne fait finalement rien de celle-ci pour, en bout de film, chercher à la rompre constamment.

Toute la fragilité du métrage tient dans cet entre-deux qui ne fonctionne pas : à la fois Kawamura Genki tente de proposer un exercice de style qui tord son film vers l’abstraction pure et le geste esthétique fort, à la fois il tente d’en faire une version appauvrie esthétiquement et où la jouissance divertissante serait l’objectif premier. Le mélange des deux ne fonctionne pas. Côté exercice de style, celui-ci apparaît très rapidement comme vain et surtout superficiel. Côté divertissement jouissif, celui-ci est ralenti par le concept qui frôle l’abstraction et s’embourbe dans des enjeux scénaristiques inintéressants et surtout une problématique assez douteuse. Rapidement, le film d’horreur viscéral tourne presque au téléfilm distribué par SAJE sur l’importance de la natalité et de la figure du père. Ce n’est probablement pas l’objectif de l’auteur, mais là aussi l’ambiguïté joue contre lui : cela aurait été peut-être un peu plus intéressant, et même jouissif, d’avoir un film non pas accidentellement conservateur, mais volontairement et l’assumant radicalement de bout en bout. Et de l’autre revers du bâton, l’ambiguïté n’est pas assez fine, ni ne serait-ce que voulue, pour faire du film une expérience de spectateur troublante. Non, quand arrivent les relents conservateurs de ce scénario mal écrit, au pire les yeux roulent et l’on oublie rapidement cette excroissance censée nous tenir en haleine.

L’une des limites provient aussi de l’adaptation elle-même, non pas tant du jeu, mais du projet The Exit 8 qui cherche à donner vie à l’horreur liminale. Cette dernière se partageait sur internet principalement à travers des photographies, puis par des petites vidéos très courtes. L’expérience de l’horreur liminale provient de lieux du quotidien, étrangement vides et surtout à l’apparence à la fois très fidèle et très déformée de ce qu’elle singe : typiquement, ici, le couloir de métro est une copie conforme du métro tokyoïte mais dont les détails trahissent une copie vidée de toute sa réalité. Peut-être que cette horreur n’a pas vocation à fonctionner cinématographiquement et en mouvement, le sentiment qu’elle procure étant à la fois éphémère et figé, ce qui lui permet de s’imprimer et de s’inscrire profondément sur le long terme. Ou alors elle ne fonctionne pas avec les ambitions du cinéaste : de faire de cette horreur si atypique un film de divertissement jouissif. Si cela est possible sur internet ou bien dans le milieu du jeu-vidéo, cela n’est pas possible à travers les codes du cinéma contemporain de fiction commercial. Le film n’est pas perdant sur toute la ligne : il est visuellement attrayant, l’univers qu’il dépeint fonctionne superficiellement bien mais fonctionne tout de même, et surtout, malgré le risque pris par le réalisateur, l’ennui ne pointe pas le bout de son nez durant sa boucle assez longue. Avec un tel compromis, Kawamura Genki ne pouvait pas proposer autre chose qu’un honnête film horrifique, ce qu’Exit 8 est.

Thibaut Das Neves

Exit 8 de Kawamura Genki. 2025. Japon. En salles le 03/09/2025