FFP – Lost in the Stars de Cui Rui et Liu Xiang

Posté le 25 juin 2025 par

Présenté en reprise lors du Festival du Film de Pékin, Lost in the Stars de Cui Rui et Liu Xiang est un film qui a connu un succès surprise en Chine l’an dernier.

Le film se présente comme une étrange réécriture de Piège pour un homme seul, pièce de théâtre de 1960 de Robert Thomas (que les amateur d’Ozon connaissent comme le dramaturge de Huit femmes) et de son adaptation soviétique de 1990 par Alexey Korenev. Un jour un homme, Hei Fei, vient signaler à la police la disparition de sa femme alors qu’ils célébraient leur anniversaire de voyage en Barlandie, pays fictionnel d’Asie du Sud Est où on parle malais et thaï. Alors que la police ne semble pas disposer à l’aider, il se réveille un matin auprès d’une femme inconnue qui prétend être la sienne. S’ensuit alors une très folle aventure où notre héros décide de découvrir la réalité.

La grande qualité du film est de ne refuser aucune excentricité dans sa dimension ludique ; on passe au fur à mesure d’un film policier aux codes du film fantastique avant de basculer dans une histoire de complot matinée de film d’espionnage. Si la pièce originale est en partie humoristique, le film choisit un ton pince sans rire, en apparence toujours sérieux, alors que ce qu’on voit à l’écran devient de plus en plus étrange. Dans le rôle principal, Zhu Yilong, vu récemment dans Only the River Flows, s’en donne à cœur joie, avec une palette parfois radicalement différente d’une scène à l’autre, selon le genre que le film choisit d’adopter pour les dix minutes à venir. Il peut aussi bien être un personnage de thriller psychologique, trahi par sa mémoire, qu’une espèce de simili James Bond en smoking sur la plage affrontant une femme fatale dans un numéro de danse au milieu des braséros qu’un héros d’action sous les fusillades ou un personnage ambigu qui refuse de révéler l’ensemble de ses secrets.

Il fait face à Janice Man dans le rôle de sa prétendue femme, qui profite pleinement du caractère étrange du film pour camper une femme fatale délicieusement vénéneuse, et de Ni Ni (découverte dans Sacrifices of War de Zhang Yimou) dans le rôle d’une mystérieuse et omnipotente avocate (dont la première apparition dérapant à moto ressemble presque à l’arrivée de Joy dans le port de Hong Kong au début de Shenmue 2, et dont le rapport au métier d’avocate a l’air de sortir des jeux vidéos de la série des Judgement, avec un mélange de plans d’action inutilement compliqués et de panache inutile). Le trio d’acteurs, entouré de personnages secondaires hauts en couleurs semble tellement impliqué qu’on se laisse allé à croire cette aventure sans queue ni tête, où tout le monde a l’air d’être dans une réalité alternative parce que c’est justement le propos. Le film est un divertissement dans tous les sens du terme, aussi bien pour le plaisir du public que pour faire passer progressivement ses « trucs » avant l’inévitable révélation finale, forcément rocambolesque.

La presse chinoise a parfois qualifié le film d’hitchockien, ce qui peut s’entendre, à la fois parce qu’il y a un vrai plaisir ludique de la forme et parce que Hitchcock avait essayé d’obtenir les droits de la pièce originale. Mais le film lui-même est plus proche d’une fantaisie à la Philippe de Broca, pastichant avec joie les genres que l’histoire permet de parcourir, assumant l’absurdité de ses situations jusqu’à une résolution à la fois invraisemblable et parfaitement cohérente avec les indices semés. Si on essaie de résumer le film, il faut admettre qu’il raconte n’importe quoi mais il le fait avec un tel aplomb qu’on ne peut lui en tenir rigueur. Mise en abyme baroque, c’est un vrai d’amour à toute sortes de cinéma avec une générosité digne des massala du cinéma indien.

Si la pièce matricielle s’est révélée avoir été un plagiat, si le fait divers que la production a mis en avant comme inspiration du film non seulement trahit la révélation finale mais est en plus contreproductif (le plan a  spectaculairement échoué en réalité), le film n’en est pas moins un production chinoise particulièrement inventive et plaisante. Si le titre chinois signifie approximativement la disparue, ce n’est pas une variation chinoise de Gone Girl, mais un grand tour de manège et de prestidigitation. Le film est disponible sur Netflix sur différents territoires, on peut espérer qu’il finisse par l’être aussi en France.

Florent Dichy

Lost in the Stars de Cui Rui et Liu Xiang. Chine. 2023. Projeté lors de la reprise du Festival du film de Pékin