EN SALLES – A Normal Family de Hur Jin-ho

Posté le 11 juin 2025 par

Après avoir fait la clôture du Festival du Film Coréen à Paris en 2023, A Normal Family de Hur Jin-ho, adapté du roman néerlandais Le Dîner de Herman Koch arrive cette semaine sur nos écrans, proposé par Diaphana. Le réalisateur coréen  embrasse ici la modernité et la diffusion de plus en plus rapide des informations pour traiter le même sujet : quel type de personnes sont les enfants et les parents derrière le masque social.

Le scénario est en apparence simple : deux frères à la relation houleuse, l’un avocat défendant un chauffard, l’autre médecin occupé à essayer de sauver la fille de la victime du chauffard ; le premier remarié à une femme beaucoup plus jeune, le second accompagné par sa femme complexée par la situation, elle qui passe ses journées à s’occuper de sa belle-mère malade. Pendant ce temps, leurs enfants s’autorisent une soirée de fête dont on découvrira peu à peu toutes les conséquences.

Plus connu récemment pour des films de reconstitution historique comme Forbidden Dream ou l’adaptation chinoise avec Zhang Ziyi des Liaisons Dangereuses, Hur Jin-ho a aussi réalisé des drames contemporains comme April Snow, montré au Festival de Vesoul il y a presque 20 ans, après avoir été découvert au Festival de Cannes en 1998 avec Christmas in August, sélectionné à la Semaine de la Critique. Il revient avec ce film à cette veine contemporaine même s’il joue aussi avec la pesanteur des codes sociaux. Le réalisateur a choisi de modifier beaucoup d’éléments du roman et des films dont il s’inspire, ce qui l’a poussé à changer le titre : si trois scènes de repas sont bel et bien les points charnières du film, celui-ci nous indique dès son titre que ce qui est important est la famille, et la façon dont les masques sociaux grincent de plus en plus.

Le casting est prestigieux, le grand frère avocat prestigieux est incarné par Seol Kyeong-gu (dont la carrière remonte à A Petal en 1996 et comporte des classiques comme Peppermint Candy en 2000 ou 1987: When the Day Comes en 2017), le petit frère par Jang Dong-gun (dont la carrière est un peu moins riche, malgré des succès comme Rampant, son précédant rôle sur grand écran en 2018), Claudia Kim dans le rôle de la nouvelle épouse (aperçue dans des petits rôles, comme dans le 2e Avengers ou Les Animaux fantastiques, dans son premier rôle au cinéma en Corée) et Kim Hae-hee (avant tout grand nom des fictions télévisuelles, avec un pic de popularité avant 2010). Les acteurs, tous très convaincants, jouent sur leur image pour incarner les différentes positions de force sociales, avec une légère mise en abyme. Les deux enfants, campés par Hong Ye-ji et Kim Jung-chul, sont également tous les deux remarquables, leurs différents masques étant mis en scène très vite, avec une scène assez glaçante. Le scénario du film ressemblant un peu à une pièce de théâtre, le métrage reposant beaucoup sur la présence et la qualité des interactions entre les membres de sa troupe.

Mais le film n’est justement pas une pièce de théâtre. Il s’offre notamment une première scène choc particulièrement percutante et différents environnements bien définis : les appartements des deux familles incarnant visuellement la différence de classes sociales, l’hôpital public et le riche cabinet d’avocat et le restaurant dont le caractère lisse est froid est le lieu impersonnel où finit par déborder ce qui est le plus personnel. Un élément important du film est aussi la façon dont sont traités les images et les sons captés et diffusés partout, des vidéos YouTube au système de surveillance d’un bébé.

Il s’agit profondément d’un conte moral. Au fur et à mesure du film, on découvre jusqu’à quel point chacun est prêt à compromettre ses convictions, qu’il s’agisse de la façon de traiter les personnes âgées, de la façon dont le médecin et l’avocat considèrent leur métier et ses conséquences sur autrui ou de la façon dont chacun des parents réagit devant la faute de ses enfants. Le film n’est pas manichéen, les parents se transforment au fur et à mesure du film. Devant une situation, impossible personne n’est un modèle, et tout le film se présente comme un impossible retour en arrière. Certains personnages semblent monstrueux par cynisme, d’autres deviennent ambigus par amour. Le film joue sur les binômes : les deux frères dont le drame va faire ressortir tous les ressentiments, les deux femmes séparées économiquement et par le jeunisme et les deux enfants, la Queen Bee faussement innocente et le garçon mal dans sa peau, bizuté, à la limite de la radicalisation sur internet. Le film est nihiliste et terrible mais cherche à traiter de nombreux sujets sociaux de façon vraiment frappante et concrète.

On peut aussi noter la bande originale de Chung Sung-woo et ses compositions à base de piano qui hantent le film, ajoutant à sa noirceur désespérée et tragique. Ce n’est pas un film léger, ni dans sa forme ni dans ses thèmes, mais c’est un film qui sait porter sa gravitas et ses effets d’ironie tragique, comme un masque grimaçant reflétant l’impossibilité humaine à être à la hauteur de qui on voudrait être, comme personne ou comme parent… C’est à la fois un film sur la façon dont l’argent entre en concurrence avec la morale, sur la violence sous-jacente à la société compétitive coréenne, où même la personne la plus insoupçonnable peut sans doute devenir le monstre qu’il voyait en autrui, et sur l’impossible communication avec des enfants auxquels on ne parle plus vraiment, et qui peuvent parfois sembler ne plus voir le monde que comme derrière un écran, protégés par la situation économique de leur famille. C’est une fascinante étude de caractère qui interroge les rôles de mère et de père et la capacité de chacun à accepter de s’aveugler…

Florent Dichy

A Normal Family de Hur Jin-ho. Corée. 2023. En salles le 11/06/2025