MCJP – Wait and See de Somai Shinji

Posté le 7 juin 2025 par

La Maison de la Culture du Japon à Paris (MCJP) consacre une rétrospective intégrale de l’œuvre de Somai Shinji. Retour sur Wait and See, pendant adulte et bienveillant de son célèbre Déménagement, avec une touchante œuvre de réconciliation familiale.

Vivant avec son fils, sa femme et sa belle-mère, un employé de banque voit débarquer un jour un homme âgé qui se présente comme son père… alors qu’on lui avait dit que celui-ci était décédé depuis des décennies.

Wait and See est une des œuvres les plus douces et accessibles de Somai Shinji, l’une de celle où on comprend le plus son influence sur un Kore-eda Hirokazu qui voyait en lui un modèle. Le film s’ouvre sur un rite funéraire célébrant un père disparu, celui de Mizuho (Saitō Yuki), épouse de Hiroshi (Satō Koichi). Durant l’échange badin qui suit la cérémonie, on apprend que ce dernier a perdu son père à l’âge de cinq ans et n’a aucun souvenir de lui. L’ensemble du film repose sur ce questionnement autour de l’absence/présence du père. Salaryman accaparé par son métier de courtier d’assurance, Hiroshi est un mari et un père absent pour sa famille, ce que Somai introduit dans une notion pratique (les menus travaux de la maison restant inachevé comme le lui reproche sa belle-mère (Fujimura Shiho)), charnelle (le geste de désir et de frustration de Mizuho face à un Hiroshi endormi) et éducative en tant que modèle pour son fils. Les retrouvailles inattendues avec son père Sasaichi (Yamazaki Tsutomu), finalement bien vivant, vont venir bousculer ses certitudes.

Somai Shinji construit des parallèles passionnant sur la manière dont implicitement, Hiroshi s’inscrit dans l’opposé de ce père qu’il n’a jamais connu. Hiroshi a choisi une situation stable (du moins dans le contexte initial de la bulle économique) de courtier quand Sasaichi a vécu une existence chaotique, le voyant passer d’un job à un autre. Hiroshi est discret et silencieux quand son père est exubérant et facétieux. Formellement, cela se traduit notamment par les premières minutes du film toutes en cadrages sobres et précis capturant l’existence stable, endormie et ennuyeuse du foyer. L’arrivée du père et son interaction amusée avec son petit-fils et la famille durant un rite ludique est l’occasion de soudainement donner vie à cette demeure familiale à travers un des fameux plans-séquence dont Somai a le secret.

Tout au long du récit, malgré la notion d’attraction/répulsion et de rancœur entre le père et le fils, le fossé les séparant s’estompe et les points communs s’amorcent. Sasaichi, au grand dam de la grand-mère maternelle, apprend à son petit-fils la gestuelle des paris d’argent. Plus tard, un collègue qualifiera le métier d’Hiroshi de « pari » dont ils sont en train de ressortir perdants puisque leur entreprise s’apprête à déposer le bilan. Mais là où son père a toujours su se réinventer et expérimenter quitte à se perdre, Hiroshi, tout en voyant le désastre professionnel se profiler, est incapable de réagir. Cette absence de père peut d’ailleurs se ressentir aussi pour le très beau personnage de l’épouse Mizuho, puisque le sien de son vivant semblait avoir délaissé aussi sa famille pour ses affaires. La présence bourrue et truculente de Sasaichi est ainsi pour elle aussi une figure paternelle chaleureuse qu’elle n’a pas connue, et il n’est pas anodin que ce soit elle qui force la réconciliation auprès de Hiroshi. Somai amorce toutes ces problématiques dans un récit sobre et intimiste, prenant le temps de d’expliquer les liens, faire comprendre les conflits, et introduire la réconciliation de manière douce. Une nouvelle fois, Somai brille par ses talents de narrateur et son travail de mise en scène pour exprimer cela sans surlignage.

Ainsi, une révélation va remettre en question cette notion de filiation dans la dernière partie du film. Néanmoins, le lien du sang n’est pas le passage obligé de la paternité. L’attachement de Hiroshi à Sasaichi repose sur les brefs moments qu’ils ont passé ensemble. Hiroishi entonne dans la scène d’ouverture un chant marin traditionnel qu’il comprend connaître de son père à la fin du film, ce dernier lui ayant chanté durant sa petite enfance. Père et fils reprennent ainsi la chanson en cœur, filmé en plan-séquence par Somai qui déploie ainsi par la seule fluidité de l’image la connexion les réunissant. L’arrière-plan sur les tours de verre tokyoïtes fait ressentir la différence entre la froideur du monde moderne et, au contraire, les liens filiaux ancestraux, notamment par la photo solaire de Naganuma Mutsuo. En filigrane, une belle métaphore sur l’éclosion de poussins aura appuyé cette idée, en particulier lors d’une poignante scène dans les dernières minutes du film. Les retrouvailles du père disparu réinstaurent le rôle du père absent, et permettent à la famille désormais unie de faire face aux lendemains difficiles.

Justin Kwedi.

Wait and See de Somai Shinji. Japon. 1998. Projeté à la Maison de la Culture du Japon à Paris.