VIDEO – The Seen And Unseen de Kamila Andini : l’imaginaire comme remède

Posté le 23 mars 2019 par

Disponible en COMBO (Blu-Ray + DVD) chez Spectrum Films depuis le 15 décembre 2018, The Seen And Unseen est le second long-métrage de Kamila Andini. Que se passe-t-il dans la tête d’une jeune fille quand son jumeau est au seuil de la mort ? C’est ce à quoi tente de répondre la cinéaste indonésienne à travers ce métrage d’une grande beauté plastique et spirituelle.

Tantri et Trantra sont des jumeaux d’une dizaine d’années. Trantra tombe gravement malade. Tantri s’échappe de cette tristesse qui la ronge en s’évadant dans un monde imaginaire.

C’est sur ce postulat simple que Kamila Andini décide de créer un film. Pas si facile de générer de l’intérêt pour une œuvre au synopsis aussi court. Pourtant, la cinéaste va y parvenir de la meilleure des manières.

The Seen And Unseen montre donc l’intention d’explorer la psyché d’une petite fille, les diverses émotions qui peuvent la traverser, de la tristesse absolue due à la perte d’un être cher à la vision transcendée de son environnement. Souvent, les rêveries s’infusent dans la réalité de Tantri, mais le film reste très lisible pour le spectateur, qui sait différencier ce que la fillette vit réellement de ce qu’elle ressent et s’imagine. Puisqu’on assiste tour à tour à des scènes où le garçon interagit avec sa jumelle et d’autres où il est alité, les parents discutant de ses difficultés de rétablissement, on comprend aisément que notre jeune héroïne s’imagine ces moments avec son frère.

La narration est claire et va au bout de son idée. Au bout de l’heure trente du métrage, Tantri apparaît comme une figure connue des spectateurs, presque familière tant ses émotions dans leur diversité ont crevé l’écran. Les choix narratifs corroborent l’idée : la presque totalité du film est traitée par la perception de la jumelle. Notamment, les discussions des deux parents sont filmées comme une conversation volée par une enfant qui écoute aux portes. Cet état de fait, qui est une réussite en matière de portrait de personnage, est dû à deux qualités du film : la force de ses images et le soin apporté à la matérialisation des sensations qui s’en dégagent.

Plusieurs plans du film sont absolument somptueux, pour ne pas dire iconiques. La scène où Tantri se grime en sorte de divinité-oiseau, déguise son frère de la même sorte, et s’imagine parader avec lui dans un ballet chamanique dans la chambre d’hôpital, fait s’arrêter le temps. Les mouvements, comme les couleurs des déguisements, sont d’une beauté éclatante et sidérante. Et pourtant, la séquence a nécessité peu de moyens : le décor est celui d’une chambre d’hôpital dans sa simplicité et ramène à la réalité de la maladie du quotidien ; le déguisement semble réalisé à partir de pailles, d’un haut unicolore et d’un maquillage simple. Peu d’éléments, mais quelle force dans l’image.

D’autres plans séduisent notre rétine : Tantri face à la lune, Tantri grimée en présence d’enfants en blanc dans les plaines… Pour tous ces plans, un soin tout particulier a été accordé à la composition, au placement des protagonistes, aux couleurs… Le reste de l’intrigue peut paraître assez austère, et montre des longueurs, les images étant moins hypnotiques. Mais il est difficile d’en faire une raison valable pour dévaluer le film : chaque séquence est signifiante, et dévoile une facette des émotions de l’héroïne. Tous les moments passés/imaginés avec son frère, y compris ceux du début, mis en scène de manière fort banale, paraissent pour autant de moments d’intimité et de complicité entre deux enfants proches amenés à voir leur chemin se séparer. C’est tout à fait émouvant.

C’est dans ce genre de moments que les images cèdent le relais à des sensations qui émanent du film. Pour cela, l’allié de l’image est le son. Ou plutôt sa mesure, voire son absence. Il y a très peu de dialogues dans The Seen And Unseen, beaucoup de silences, et quelques sonorités naturelles. Ce calme peut montrer la fin de la vie au bout du chemin, mais peut-être aussi la recherche de sérénité de Tantri. D’ailleurs, le moment le plus bruyant du film, vers la fin, où la fillette, déguisée en singe, essaye de stimuler son frère dans le coma, en criant comme l’animal et en voltigeant dans toute la pièce, symbolise une forme de désespoir qu’elle a refoulé jusque là. Elle se rend alors bien compte que son frère ne revient pas à lui. Les hurlements mimés et le déguisement de l’animal renvoient d’ailleurs encore une fois à des sensations chamaniques de toute beauté. The Seen And Unseen est définitivement un film ésotérique, et s’attache à explorer les tourments humains sans y apposer de mots.

En quoi le film réussit-il ? À travers l’intention de dévoiler les émotions intérieures d’une jeune fille, le film de Kamila Andini parvient aussi à créer un personnage fort attachant, en dirigeant à merveille une jeune actrice. L’empathie est totale. Il en résulte un film qui peut faire office de document sur les émotions infantiles, et pourquoi pas, pour aller plus loin, d’essai sur l’imagerie chamanique en Asie du Sud-Est. The Seen And Unseen, c’est étonnant et surtout, beau.

L’édition de Spectrum est d’excellente facture. Les masters sont en haute définition. En bonus, nous trouvons une interview de la réalisatrice et des producteurs, mais qui manque un peu de profondeur. La critique du film par les vidéastes Dirty Tommy et La critique masquée offre un regard éclairant. Enfin, le court-métrage Memoria, portant sur les viols en temps de guerre (1975-1999) et les violences masculines plus globalement, permet d’appréhender mieux l’oeuvre de la réalisatrice, et c’est un aspect toujours appréciable de l’offre vidéo. En revanche, il n’est disponible qu’en VOSTA, ce qui est vraiment dommage pour les non-anglophones.

Maxime Bauer.

The Seen And Unseen de Kamila Andini. Indonésie. 2017. Disponible en COMBO (Blu-Ray + DVD) chez Spectrum Films le 15/12/2018.

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