VIDEO – L’Auberge du Printemps de King Hu

Posté le 6 juin 2025 par

Metropolitan Films ressort en édition Blu-ray L’Auberge du Printemps, merveille de King Hu qui conclut en beauté sa trilogie des auberges.

En Chine au XIVe siècle, des Chinois se révoltent contre la domination mongole incarnée par le prince Lee Khan. L’auberge du Printemps de madame Wan Jen-mi est le théâtre d’une confrontation entre rebelles chinois et hommes de mains du prince, sur fond d’espionnage, de traîtrise et de secrets militaires.

L’Auberge du Printemps conclut de manière magistrale ce qu’on appelle « la trilogie des auberges » dans l’œuvre de King Hu. Le cultissime L’Hirondelle d’Or, classique absolu de la Shaw Brothers, entamait le cycle avec un King Hu en inventant toutes les figures imposées du wuxiapian moderne (et lançant le studio sur le genre) dont les fameuses confrontations dans les auberges, véritables lieux de tension où les adversaires se jaugent et s’observent. Trop perfectionniste pour le régime d’usine de la Shaw Brothers, King Hu claque la porte du studio et part à Taïwan réaliser le deuxième volet de sa trilogie, Dragon Inn, succès colossal en Asie, et dans lequel l’utilisation du cadre de l’auberge revêt un atour bien plus dramatique et stratégique que dans L’Hirondelle d’Or.

L’Auberge du Printemps, réalisé par un King Hu au sommet de ses possibilités (l’hypnotique A Touch of Zen aura précédé) atteint ainsi une sorte de perfection en reprenant les motifs de L’Hirondelle d’Or (les faux-semblants, l’atmosphère électrique) et Dragon Inn (l’intrigue politique et historique, le jeu sur les apparences) pour les sublimer. Si on se perd légèrement lors de la présentation des multiples personnages et des enjeux lors de l’introduction explicative, une fois arrivé dans l’auberge en titre, tout devient limpide par la maestria narrative et visuelle du réalisateur. On a donc un groupe de rebelles chinois dissimulés en tenanciers d’auberge dans le désert, chargés d’intercepter un document transporté par un prince ennemi mongole amené à séjourner dans les lieux.

Dès lors, l’intrigue devient le cadre d’un captivant jeu d’échecs où personne n’est ce qu’il paraît être et où il faut constamment démêler le vrai du faux, les amis des ennemis, et où le personnage en apparence le plus insignifiant peut s’avérer un allié précieux ou un adversaire redoutable. Hormis quelques escarmouches isolées et un final furieux, le film est plutôt avare en séquences d’arts martiaux. Celles-ci ne sont pas une fin en soi et ne sont que l’aboutissement d’un jeu de faux-semblants où il faut se montrer plus fin que l’ennemi. King Hu, le plus érudit et raffiné des réalisateurs hongkongais, expérimente ici les intrigues de palais à venir de ses films à venir, qu’elles soient poussées à la quasi-abstraction dans le mémorable Raining in the Mountain ou dans le cadre du pur film historique comme son All the King’s Men.

La mise en scène de King Hu se fait par instant théâtrale par le fait de cette unité de lieu (même si quelques séquences se déroulent en extérieur) mais c’est un statisme de façade où le montage joue grandement dans le jeu de regards entre les personnages devant dissimuler leur connivence et qui sait se faire bien plus dynamique quand la tension s’installe. Le scope de King Hu est d’une maîtrise impressionnante et il faut constamment être attentif à ce qui se déroule dans chaque coin du cadre (la poursuite du cambrioleur, la première tentative de vol du document) et le réalisateur joue autant de la profondeur de champs que de la verticalité et de l’horizontalité de cette auberge sur étage.

Presque à la manière d’un Mission : Impossible à la sauce wuxiapian, les héros sont quasiment réduits à leur seule fonction (hormis les jolies serveuses revêches, dont Angela Mao) et on retient finalement surtout le fabuleux duo de méchants retors magistralement incarnés par Tien Feng et Hsu Feng (actrice fétiche de King Hu). Après ce jeu de chausse-trappe à la tension palpable, King Hu laisse enfin exploser l’action lors d’un long final virtuose et sacrificiel où les affrontements sanglants s’enchaînent sans interruptions. Un des tous meilleurs et des plus nerveux films de King Hu.

Bonus :

Interview avec Helen Ma (23 mn) menée par Frédéric Ambroisine. Elle revient sur ses débuts à la Shaw Brothers et son apprentissage des arts martiaux, alors seulement âgée de 16 ans. Elle explique les conditions de cette formation et nomme quelques-uns de ses glorieux condisciples comme Adam Cheng ou Cheng Pei Pei. Elle raconte sa spécialisation dans le registre du cinéma d’action dès ses débuts et même après son départ de la Shaw Brothers, regrettant le rendez-vous manqué de travailler avec Bruce Lee à la Golden Harvest à cause du décès de ce dernier. Elle aborde enfin plus spécifiquement L’Auberge du Printemps et ses conditions de production, la méticulosité de King Hu sur le réalisme des décors, costumes et accessoires. Elle souligne que c’est l’un des tournages les plus rapides de King Hu, sans doute plus attentif à la dépense car producteur du film. Helen Ma vante aussi l’aura de Li Li-hua, grande star féminine du film qu’elle admirait. Un bonus se concluant de manière idéale avec la spontanéité d’Helen Ma commentant les photos d’époque avec ses partenaires.

Un livret de 12 pages revenant en profondeur sur le parcours de King Hu, sa filmographie et plus particulièrement L’Auberge du printemps dont les spécificités par rapport au reste de la trilogie sont soulignées.

Justin Kwedi.

L’Auberge du Printemps de King Hu. Hong Kong. 2025. Disponible en Blu-ray le 06/06/2025 chez Metropolitan Films.