CANNES 2025 – A Useful Ghost de Ratchapoom Boonbunchachoke

Posté le 30 mai 2025 par

Auréolé du Grand Prix de ce Cannes 2025, A Useful Ghost de Ratchapoom Boonbunchachoke est une véritable révélation, une œuvre de cinéma qui mélange les genres – film de fantôme, comédie satirique, romance, thriller violent – de telle que sorte qu’à chaque coin de pellicule, nous ne savons pas dans quelle monde nous allons. Long-métrage queer et anticapitaliste, il sera à ne pas rater lors de sa sortie française prochaine via JHR Films, sous le titre Fantôme utile.

Après la mort tragique de Nat, victime de pollution à la poussière, March sombre dans le deuil. Mais son quotidien bascule lorsqu’il découvre que l’esprit de sa femme s’est réincarné dans un aspirateur. Bien qu’absurde, leur lien renaît, plus fort que jamais — mais loin de faire l’unanimité. Sa famille, déjà hantée par un ancien accident d’ouvrier, rejette cette relation surnaturelle. Tentant de les convaincre de leur amour, Nat se propose de nettoyer l’usine pour prouver qu’elle est un fantôme utile, quitte à faire le ménage parmi les âmes errantes…

Le film débute avec un homme (trans, cela est souligné très rapidement) victime d’un défaut de fabrication de son aspirateur. Un drôle de réparateur vient alors lui apprendre que son appareil est hanté par un fantôme, et que ce n’est pas le seul. Il se met alors à conter une gigantesque histoire, celle de March et Nat, de leur usine et de ce qu’il s’y est passé. A la manière d’un barde, ce technicien déroule plusieurs couches de scénarios qui s’imbriquent, et pendant la majeure partie du film, on s’amuse énormément devant tant d’inventivité dans cette intrigue de fantômes qui hantent les aspirateurs, une idée mise en scène à la manière d’un cartoon. Soulignons le mérite du réalisateur Ratchapoom Boonbunchachoke d’avoir opté pour ces effets « faits mains » de ces aspirateurs qui bougent tout seuls, et qui contribuent à l’humour raffiné et ravageur à la fois animant le film. La forte dimension LGBT qui existe déjà dans cette première partie comique, du receveur de l’histoire donc, au frère homosexuel de March et sa cellule familiale homoparentale, est un premier aperçu de la puissance politique du film.

Une fois l’intrigue de revenants largement mise en route au milieu de nombreux gags, Boonbunchachoke se dirige vers une intention politique plus frontale. Le fantôme utile, dont il est question dans le titre, est d’abord perçu comme un spectre qui regagne sa place parmi les vivants et dans son foyer par une forme de réinsertion. Mais très vite, ce rôle glisse du côté de la collaboration avec les puissants. Subtilement, A Useful Ghost vire de la comédie cartoonesque au brûlot politique, qu’on pourra en partie rapprocher de Cemetery of Splendour d’Apichatpong Weerasethakul. Dans ces deux œuvres compatriotes, la tumultueuse histoire de la Thaïlande et les exactions commises par le pouvoir en place dans le passé proche ou présent, sont évoquées ou sous-entendues, avec un questionnement : le devenir de la mémoire. Faire disparaître ces fantômes, c’est pour la caste dirigeante tirer un trait sur les horreurs commises, jusqu’à l’oubli. Le peuple y perd le souvenir des êtres chers en même temps que la raison de lutter.

Par la richesse des genres fictionnels qui le composent, son écriture inventive, le rire franc qu’il provoque et le sursaut de conscience politique qu’il nous demande, A Useful Ghost séduit et stimule notre imaginaire de spectateur. En quelque sorte, tous les sentiments que génèrent ses composantes nous ramènent à la question : pourquoi regardons-nous des films ? Dès lors, le final à la violence cathartique quasi-tarantinienne ressemble à une conclusion évidente pour un tel métrage. A cela, rajoutons que la mise en scène de Boonbunchachoke laisse essaimer de nombreux plans conceptuels tout du long, à l’image de la salle d’expérimentation, qui ressemble à une chambre capitonnée d’un hôpital psychiatrique version expressionniste. Tant sur le plan graphique que par ses intentions multiples et nobles, A Useful Ghost est une œuvre d’une grande originalité et d’une beauté plastique immense.

Maxime Bauer.

A Useful Ghost de Ratchapoom Boonbunchachoke. Thaïlande, France. 2025. Projeté au Festival de Cannes 2025