CANNES 2025 – Woman and Child de Saeed Roustaee

Posté le 27 mai 2025 par

Film de l’après démêlées judiciaires en Iran pour Saeed Roustaee, Woman and Child est un beau mélodrame et portrait de femmes présenté en Sélection officielle au Festival de Cannes 2025.

Mahnaz, une infirmière de 40 ans, élève seule ses enfants. Alors qu’elle s’apprête à épouser son petit ami Hamid, son fils Aliyar est renvoyé de l’école. Lorsqu’un un accident tragique vient tout bouleverser, Mahnaz se lance dans une quête de justice pour obtenir réparation…

Woman and Child marque le grand retour de Saeed Roustaee, jeune cinéaste iranien ayant ébloui par la puissance de deux de ses premières réalisations, le polar fiévreux La Loi de Téhéran (2021) et le mélodrame Leila et ses frères (2022). Ce dernier lui avait valu quelques démêlés avec la justice iranienne, qui le condamnera (avec son producteur Javad Norouzbeigui) à 6 mois de prison pour avoir « contribué à la propagande de l’opposition contre le système islamique » lors de sa sélection cannoise. L’attente était donc grande, tant par le souvenir de ses précédents coups d’éclat que pour observer la direction que prendrait Roustaee après pareille épreuve.

La Loi de Téhéran accompagnait les pérégrinations d’un héros masculin dans les bas-fonds criminels, tandis que Leila et ses frères était un film choral et mixte se situant dans une classe ouvrière frustrée par sa condition. Woman and Child creuse un sillon thématique voisin mais va se dérouler dans un autre pan de l’échelle sociale iranienne, une classe moyenne éduquée, féminine et relativement émancipée. Mahnaz (Parinaz Izadyar) est une mère de famille élevant seule ses deux enfants, et vivant avec sa sœur cadette Mehri (Soha Niasti) et sa mère (Fereshteh Sadre Orafaee). Le début du film déploie une énergie contagieuse à plusieurs niveaux. Tout d’abord au sein de l’appartement dégageant une atmosphère joyeuse et studieuse, notamment par une topographie circulaire (voire vertical en étendant le champs à l’immeuble entier quand les enfants en font un terrain de jeu à grande échelle lors du départ à l’école) où les individus circulent, s’interpellent et en définitive partagent un espace commun dans lequel les contraintes de l’extérieur – celles-ci pouvant se résumer arbitrairement aux hommes – sont absentes. L’un des moteurs de cette fougue est Aliyar (Sinan Mohebi), fils aîné adolescent de Mahnnaz dont la gouaille et les facéties entraînent toutes les situations dans une veine bondissante faisant briller le sens du dialogue truculent et des situations extravagantes de Roustaee – rappelant les relents de comédie italienne que l’on percevait déjà dans Leila et ses frères.

Un drame tragique vient briser cette euphorie douce et plonger le récit dans une profonde noirceur. Cet extérieur représenté par les hommes – et par extension les règles patriarcales et religieuse guidant la société iranienne – avait déjà laissé entrevoir son emprise durant la première partie. Mahnnaz, heureuse dans son quotidien libéré, y subissait la pression douce mais continue de son petit-ami Hamid (Payman Maadi) afin de se marier. Le caractère séduisant de ce dernier va la faire céder malgré ses doutes, mais la crainte de la réaction de ses enfants, et en particulier Aliyar, va entraîner Mahnnaz dans une suite de réactions en chaîne dramatiques et essentiellement dues à l’intrusion de cet extérieur dans l’harmonie et sororité de son foyer.

Dès lors, Mahnnaz se désagrège, la douleur et la haine la vieillissant prématurément, les tenues sombres du deuil faisant ressortir un visage blafard, aux traits tirés par les larmes et la colère. On retrouve, avec un peu moins de maîtrise et un peu plus de longueurs et répétitions, le sentiment de trop-plein et de film-monstre qui donnait toutes leurs puissances à La Loi de Téhéran et Leila et ses frères. Conflit familial, permissivité d’une justice iranienne soumise à l’autorité patriarcale et propre conditionnement féminin à accepter les comportements masculins scandaleux, Woman and Child nous emmène dans un enchevêtrement de péripéties complexes. L’unicité du récit est portée par l’émotion et dégagée par l’ensemble du casting féminin, en particulier une incandescente Parinaz Izadyar passant par tous les extrêmes sans pouvoir retrouver la paix. Roustaee retourne les motifs formels bienveillants de la première partie en faisant de la topographie circulaire et des vis-à-vis de l’appartement des espaces où l’on s’évite, l’on guette ou fuit le regard et la présence de l’autre. La rancœur règne dans un cadre étouffant et autrefois serein.

La communauté familiale et matriarcale, socle d’un paradis perdu, n’est plus et il faut accepter de coexister avec cet extérieur. Loin d’en faire un renoncement, Roustaee y voit un renouveau à l’image de l’arrivée de ce nourrisson reprenant le prénom d’un disparu ardemment regretté. Alors que le facétieux Aiyar pouvait laisser craindre un homme en devenir tout aussi égoïste que les modèles masculins de ce monde extérieur, tout espoir est désormais permis. L’amour des siens, et plus particulièrement des femmes pour leurs enfants, surmontera tout. La scène finale, et plus tôt dans le film cet incroyable et long gros plan durant lequel le visage de Mahnaz passe de la rage à la douceur en observant sa fille, résume parfaitement la pensée profonde de ce beau mélodrame féminin.

Justin Kwedi

Woman and Child de Saeed Roustaee. Iran. 2025. Projeté au Festival de Cannes 2025