VIDEO – Madame Fang de Wang Bing

Posté le 11 juillet 2020 par

Wang Bing plonge dans les yeux de la maladie, avec Madame Fang, Léopard d’or au festival de Locarno en 2017. On peut le découvrir depuis le 2 juin en DVD chez Potemkine.

Madame Fang, vieille femme de 68 ans, souffre de la maladie d’Alzheimer. Après avoir été hospitalisé, elle est renvoyée chez elle pour mourir avec sa famille. Incapable de parler, devant rester couchée, elle attend la mort, entouré de gens de sa famille.

Le regard fixe et vide, la bouche entrouverte, Fang Xiuying n’est plus qu’un corps attendant la mort. Wang Bing capte le regard, s’attarde sur le moindre pli de sa peau, comme pour essayer de sonder l’âme de cette femme, que les membres de sa famille essaient en vain de raviver, même pour un instant.

Comme toujours chez le cinéaste chinois, la mise en scène semble inexistante. Pourtant, comme pour A la folie en 2013, les choix sont frontaux et très forts. Et comme pour le documentaire dans l’asile d’aliénés, ces choix peuvent poser question. Il choisit de filmer une agonie. L’agonie d’une femme qui bien évidemment ne contrôle rien. Dès les premiers plans, le malaise persiste. Et pourtant, il reste impossible de détourner les yeux. Le mystère de Fang Xiuying demeure.

Wang Bing a l’intelligence de construire son film en alternant les phase à l’intérieur et à l’extérieur. Il fait respirer le spectateur et les autres personnes, qui, une fois sorti, de la maison, reprennent leur vie. On observe le voisinage discutant dehors pendant les nuits chaudes. On y parle de pêche, on rit, la vie continue presque comme si de rien n’était.

Mais la mort est toujours présente dans cette maison, cette vieille dame est toujours allongée là, et son regard est toujours ancré en nous. Avec ce procédé, le documentaire prend des allures de poème poignant sur la vie et la mort, sur le souvenir, sur la vie de ces gens, qui la nuit pêchent des poissons à la lampe torche.

En les voyant vivre, on pense à madame Fang, l’imaginant faire sa vie, rire, discuter. Le spectateur ne connaît rien de cette femme, si ce n’est au début du film, des plans sur son visage en bonne santé, les joues moins creusées, bien habillée et maquillée. La maladie lui a tout pris, sa mémoire et ses capacités physiques.

Du malaise initial naît une émotion presque indescriptible. Il se crée un parallèle entre le spectateur et les membres de la famille. Ils scrutent la vieille dame, s’interrogent sur le moindre changement de posture, la moindre rougeur. Devant la mort imminente, ces gens essaient encore de comprendre, de retrouver, même pour quelques seconde, la femme qu’ils ont connue. Ils tentent de savoir si la vie est encore là.

Quand vient le moment tant redouté, Wang Bing sait trouver la distance adéquate retrouvant l’extérieur, la vie encore présente, sortant de cette maison pour mieux capter la douleur des proches dont la vie ne s’arrête pas.

Madame Fang n’est vraiment plus qu’un souvenir, comme depuis le début du film finalement, lorsqu’elle était encore lucide et énigmatique. On n’en saura pas plus de cette femme, qui a travaillé dans les champs toute sa vie, a élevé des enfants qui sont tous là pour ses derniers jours. On ne saura jamais si elle était juste, si elle était douce, si elle était triste. De ce corps vidé de toute substance, il ne reste plus que les souvenirs et le souffle de ceux qui restent.

En bonus du DVD, un entretien de 15 mn avec Wang Bing sur la genèse du documentaire et sur les circonstances qui ont amené le cinéaste à filmer l’agonie de la vieille femme. Très intéressante remise en perspective, qui nous amène par le récit du cinéaste dans les coulisses du film.

Jérémy Coifman.

Madame Fang de Wang Bing. Chine. 2017. Disponible en DVD le 02/06/2020 chez Potemkine.

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