CANNES 2025 – Lumière pâle sur les collines de Ishikawa Kei

Posté le 19 mai 2025 par

Ishikawa Kei signe une belle et touchante adaptation d’un des premiers romans d’Ishiguro Kazuo, Lumière pâle sur les collines, présenté cette année dans la section Un certain regard du Festival de Cannes.

Royaume-Uni, 1982. Une jeune anglo-japonaise entreprend d’écrire un livre sur la vie de sa mère, Etsuko, marquée par les années d’après-guerre à Nagasaki et hantée par le suicide de sa fille aînée. Etsuko commence le récit de ses souvenirs trente ans plus tôt, lors de sa première grossesse, quand elle se lia d’amitié avec la plus solitaire de ses voisines, Sachiko, une jeune veuve qui élevait seule sa fille. Au fil des discussions, l’écrivaine remarque une certaine discordance dans les souvenirs de sa mère…

Les adaptations cinématographiques des romans d’Ishiguro Kazuo sont rares mais souvent synonymes de chefs d’œuvre, les deux existantes ayant fortement marqué les esprits avec les superbes Les Vestiges du jour de James Ivory (1993) et le plus méconnu Never Let Me Go de Mark Romanek d’après Auprès de moi toujours. Lumière pâle sur les collines, premier roman d’Ishiguro Kazuo, était un des rares romans dans son œuvre se déroulant au sein de son Japon natal – avec également Un artiste du monde flottant publié en 1987. L’auteur né en 1954 à Nagasaki migra en effet en Angleterre avec ses parents en 1960 et l’identité associée à son œuvre – en particulier avec l’immense succès des Vestiges du jour et Auprès de moi toujours – relève plutôt de cette culture britannique dont il obtiendra la citoyenneté en 1987.

Lumière pâle sur les collines, tout en plaçant une légère distance par le choix d’une héroïne, semble pourtant être l’un des romans les plus personnels d’Ishiguro. Les deux identités de l’auteur se partagent dans un récit qui se déroule entre le Nagasaki de 1952 et l’Angleterre de 1982 avec Miki (Aiko Camilla), jeune femme cherchant à enregistrer les souvenirs de sa mère Etsuko (Yoshida Yoh) sur ce passé japonais. L’association entre l’auteur jeune adulte en 1982 et le personnage de Miki est donc aisé, notamment dans cette notion de quête d’identité intime et culturelle. Les deux temporalités du récit reposent sur la question du secret, du non-dit, à l’échelle individuelle et collective. La disparition prématurée de la sœur aînée Keiko a installé un climat de rancœur entre la mère et la fille, dont les origines se trouvent peut-être dans le passé.

La construction par fragments passés d’une personnalité opaque était déjà au cœur du film précédent de Ishikawa Kei, A Man (2024). Le réalisateur amène une dimension plus ample et ambitieuse ici à cette approche. Il questionne la construction passée d’Etsuko (jouée jeune par Hirose Suzu) de jeune mariée meurtrie par les épreuves de la guerre et plus spécifiquement les bombardements de Nagasaki, à la femme mature et taiseuse étouffant son passé. Ishikawa instaure deux régimes d’images aux intentions complémentaires. L’espace de la maison en 1982 fonctionne en jeux d’ombres bleutés et subtils nourrissant cette atmosphère de secret, ceux-ci se révélant progressivement par les biens (les vieux cartons dont les photos, les lettres et objets font sens) montrés et à l’inverse les pièces cachées (la chambre de l’éternelle absente Keiko). Au contraire, le Nagasaki de 1952 dévoile en apparence un Japon lumineux et solaire dans sa phase de reconstruction. L’espoir de renouveau de 1952 se teinte d’un trouble sous-jacent par les stigmates qu’il cache dans le décor (Etsuko soulignant face à un panorama somptueux que les quartiers les plus touchés par les bombardements sont camouflés), les corps abîmés des personnages (les traces d’irradiations sur le bras de la petite Mariko) et leur situation économique (pour Sachiko (Nikaido Fumi) rêvant de migration à l’étranger) comme sentimentale (Etsuko et son époux immature) insatisfaisante.

Ainsi le film célèbre ce renouveau par la sororité et l’acceptation des fautes passées à l’échelle intimiste et collective, les sacrifices nécessaires de 1952 ayant malgré eux semé des miettes dans les maux de 1982. La reconstitution est somptueuse et si léchée qu’elle verse dans l’onirisme pour les scènes de 1952, quand la partie contemporaine est plus austère, réaliste mais tout aussi poétique dans sa signification – le jardin japonais entretenu par la mère et la fille dans la vieille maison. Ce jeu avec la temporalité et la symbolique installe une tonalité romanesque typique des écrits d’Ishiguro, à la fois feutrée et emphatique. On regrettera juste que le film pousse trop loin les explications alors que tout se devinait largement par le non-dit – on saluera la prouesse de Mark Romanek qui n’avait pas altéré le récit papier avec pourtant ce même choix d’expliciter l’implicite dans Never Let Me Go. Lumière pâle sur les collines n’en reste pas moins un très beau film qui poursuit le sans faute d’Ishiguro Kazuo au cinéma.

Justin Kwedi

Lumière pâle sur les collines d’Ishikawa Kei. Japon. 2025. Projeté au Festival de Cannes 2025