PREVIEW – Au pays de nos frères de Raha Amirfazli et Alireza Ghasemi : Mohammad, Leila et les autres

Posté le 19 mars 2025 par

Il y aurait aujourd’hui près de cinq millions de réfugiés afghans en Iran. Souvent sans papiers et considérés comme des citoyens de seconde zone, ils mènent une existence discrète depuis plus de trente ans. Dans un triptyque engagé, les réalisateurs iraniens Raha Amirfazli et Alireza Ghasemi sortent enfin leurs récits de l’ombre. Au pays de nos frères, prix de la meilleure réalisation au festival du film de Sundance en 2024, est en salles depuis le mercredi 19 mars en France avec JHR Films

De l’intervention américaine de 2001 en Afghanistan, au retour en 2021 des talibans à la tête du pays, Mohammad, Leila et Qasem traversent les époques tant bien que mal, s’accrochant les uns aux autres dans l’espoir d’une vie meilleure loin de chez eux. École, flirt, mariage, chaque membre de leur communauté tente de s’adapter au quotidien iranien, en faisant le moins de vagues possible. Mohammad aime Leila et l’aide à étudier en cachette le soir. Qasem, le grand frère de Leila, et son seul parent, cherche à la marier et à se marier. Dans ce pays “frère”, tout est néanmoins contre eux. Presque considérés comme des sous-hommes, employés de force ou au noir, subissant violences physiques, symboliques et sexuelles, l’intégration et l’acceptation sont impossibles. 

Divisé en chapitres, Au pays de nos frères se construit en triptyque temporel qui suit tour à tour nos trois personnages dans les rouages du système : Mohammad en adolescent brutalisé, Leila en veuve désœuvrée, et Qasem en père de famille endeuillé. Incarnée par des acteurs amateurs eux-mêmes d’origine afghane – Mohammad Hosseini, Hamideh Jafari et Bashir Nikzad – chaque histoire s’attaque de front aux discriminations subies par la communauté dans le pays. La violence physique est principalement hors-champ, ce qui permet au long-métrage de ne jamais tomber dans un voyeurisme facile. Les injustices ne sont néanmoins jamais éludées ou édulcorées, et la mort, elliptique, se constitue immédiatement en poids inexorable et fantomatique du récit.  

Réalisé par Raha Amirfazli et Alireza Ghasemi, qui avaient déjà collaboré ensemble pour le court-métrage Solar Eclipse en 2021, le film module également son espace-temps par chromatismes. Des paysages enneigés et bleutés de la première partie qui suit Mohammad, on passe à des tons plus ocres et sablonneux aux côtés de Leila. Pour Qasem, la photographie se veut plus classique, appuyant la contemporanéité de son drame avec notre époque, dans la ligne de ce qui se fait actuellement en Iran. Ce qui unit alors véritablement les trois récits, au-delà du lien familial et communautaire entre les protagonistes, c’est la nuit. Au cœur des secrets, rêves et illusions de chacun, l’obscurité met à nu les réalités de chaque destinée et souligne les distances qui se creusent entre elles, tant symboliquement que socialement. 

Ce premier long-métrage, Raha Amirfazli et Alireza Ghasemi ont dû le tourner clandestinement. Ils s’inscrivent de ce fait dans la mouvance du cinéma iranien underground, qui tend de plus en plus à être, sinon la norme, la seule option des réalisateurs iraniens déterminés à montrer la réalité du régime aujourd’hui. Par ce choix, les jeunes cinéastes ont acté leur exil : à New York pour l’une, à Paris pour l’autre. Leurs destins s’entremêlent dès lors singulièrement avec ceux de leurs protagonistes, dans un effet miroir troublant qui questionne la place des réfugiés. Bénéficiant des forces comme des faiblesses propres aux premières réalisations, Au pays de nos frères est une critique formelle mais essentielle de leurs conditions de vie au sein du régime islamique, et met en lumière une situation sur laquelle de bien nombreux Iraniens aimeraient, eux-mêmes, fermer les yeux. 

Audrey Dugast.

Au pays de nos frères. Iran. 2024. En salles le 02/04/2025