Kono Basho - Jaime Pacena II

FICA 2025 – Kono Basho de Jaime Pacena II

Posté le 27 février 2025 par

Premier long métrage du philippin Jaime Pacena II, Kono Basho a été récompensé du prix du jury lycéen au Festival international des cinémas d’Asie de Vesoul (FICA). Un film subtil et touchant sur la résilience après le tsunami du 11 mars 2011.

Ella, une anthropologue philippine de 28 ans, se rend à Rikuzentakata, dans la province d’Iwate, pour les funérailles de son père, Emman. Ce dernier avait refait sa vie au Japon il y a une quinzaine d’années (nouvelle femme, nouvelle enfant), laissant Ella aux Philippines. Pendant quelques jours, Ella doit vivre avec sa seconde famille, dont sa demi-sœur japonaise, Reina, adolescente énigmatique et traumatisée par le tsunami de 2011. Les deux sœurs, étrangères et pourtant liées par le sang, vont apprendre à se connaître, entre défiance, jalousie, incompréhension et empathie.

Kono Basho - Jaime Pacena IIRéalisé par un Philippin, Kono Basho est un film japonais à bien des égards : toute l’action se passe au Japon, dans la petite ville côtière de Rikuzentakata ; le tsunami du 11 mars 2011, qui a ravagé la ville et tué près de 2 000 personnes, est au centre de l’histoire ; enfin, l’une des thématiques principales est la cellule familiale, thème essentiel (éternel ?) du cinéma nippon. Lorsqu’elle arrive dans sa nouvelle famille, qu’elle ne connaît pas, Ella est sur ses gardes : elle ne parle pas japonais, elle ne connaît pas les codes cérémoniels nippons et souffre d’un double complexe d’infériorité : elle a l’impression d’être mois aimée que sa demi-sœur Reina par son défunt père… et elle est philippine. Historiquement, la diaspora philippine au Japon est une population essentiellement féminine, une immigration vouée à des métiers dévalorisés (le ménage domestique et dans les hôtels). Lorsque Ella doit signer les papiers de succession testamentaire, elle craint de passer pour une profiteuse, uniquement intéressée par l’argent. Au contraire, Reina passe pour une adolescente modèle qui voue un culte à son père et aux traditions familiales. Par sa placidité et sa douceur, elle domine une Ella de passage, étrangère au Japon et aux dernières années de la vie de son père. Ce rapport va diamétralement changer au fur et à mesure des tentatives de rapprochement entre les deux sœurs, quand Reina montre peu à peu ses blessures et sa détresse.

Emman, le père défunt, avait passé les dernières années de sa vie à rassembler des lettres, des photos et des dessins liés au tsunami. Une démarche de souvenir et d’hommage aux victimes inspirée par le travail du réalisateur Jaime Pacena II qui a vécu à Rikuzentakata en 2013 dans le cadre d’un projet artistique. Kono Basho montre d’ailleurs des vidéos, des lettres et des dessins qui datent de cette époque. Le père défunt hante tout le film. Sa présence se matérialise dans les carnets qu’on trouve dans toute la maison et que Reina et Ella feuillettent régulièrement. Son véritable testament n’est pas tant l’argent qu’il lègue à sa famille que ses carnets remplis de deuil. C’est par ces carnets que Reina et Ella vont vraiment communiquer et se comprendre, sans passer par une application de traduction automatique. Le deuil que connaissent Ella et Reina n’est qu’une synecdoque du deuil plus profond qu’a connu Rikuzentakata, ville dévastée.

Kono Basho est un film de résilience dans lequel la communication ne passe pas par le langage parlé mais par des gestes, des regards et des lieux de mémoire, comme dans cette scène de déambulation au Mémorial du tsunami d’Iwate et devant le « Pin des miracles », le seul des 70 000 arbres plantés le long du littoral qui est resté debout après le tsunami. Ce pin est devenu le symbole de la ville après 2011, le symbole de l’espoir et de la résilience. On pense à l’atmosphère et la retenue de Voices in the Wind de Suwa Nobuhiro, film de 2020 dans lequel une adolescente dont la famille a été tuée par le tsunami, cherche le « téléphone du vent », une cabine téléphonique située à Otsuchi, dans la province d’Iwate. Une cabine téléphonique qui permet de communiquer symboliquement avec les morts.

Kono Basho est porté par son duo d’actrices : Gabby Padilla et Nakano Arisa (déjà vue dans Perfect Days de Wim Wenders), surtout cette dernière, dans les deux premiers tiers du film, lorsque sa parole est rare et qu’elle exprime sa fragilité et ses états d’âme avec son corps : démarche, posture, gestes et regards. Cette photogénie n’était pas flagrante dans Perfect Days, il faut donc féliciter Jaime Pacena II et son directeur de photographie Dan Villegas. Nakano est ici une actrice du muet à l’époque du parlant. Pas besoin d’user de mimiques théâtrales trop expressives, de tordre son visage doux et harmonieux pour mimer la douleur. On pense à la fois à Tina Aumont ou Nico filmées par Philippe Garrel au milieu des années 70, et aux photos de Sawatari Hajime qui a notamment photographié Motola Selena, mannequin zeitgeist des années 2015-2020 (certains appellent ça It girl), qui interprète justement l’adolescente de Voices in the Wind.

Marc L’Helgoualc’h

Kono Basho de Jaime Pacena II. Philippines. 2024. Projeté au Festival international des cinémas d’Asie de Vesoul 2025.