Si le public chinois a dû attendre deux ans entre les deux premiers épisodes de Creation of the Gods I, l’adaptation démesurée de L’Investiture des dieux par le cinéaste Wu Ershan (aussi appelé Wuershan), le public français n’aura attendu qu’entre un an et quelques mois, selon si on parle des séances spéciales ou de la sortie commerciale du film. Creation of the Gods 2: Demon Force est en salles cette semaine grâce au distributeur Space Odyssey.
Il faut commencer par une évidence : si on n’a pas vu le film précédent, ou si on ne l’a pas très bien en tête, le premier contact avec le film peut-être vraiment compliqué. En effet, il ne s’embarrasse pas d’exposition et suppose qu’on sait exactement où sont les personnages à la fin des scènes post générique du film précédent et qu’on se rappelle qui est qui. Le développement des personnages reprend exactement là où on en était à la fin du précédent opus, et les seuls personnages jusqu’ici très secondaires qui vont vraiment prendre de l’ampleur sont deux des antagonistes, le redoutable Wen Zhong et la générale Deng Chanyu.
Tout le film est centré autour du siège de Xiqi et la transformation de Ji Fa en leader face à l’oppression du roi. La figure de Daji est d’ailleurs bien plus en retrait que dans le film précédant : ses crimes partagés avec le roi sont évoqués mais ne sont plus la force motrice du récit. Dans cette version réinventée de la légende, Deng Chanyu est envoyée venger son père mais va être confrontée à un dilemme entre sa loyauté et ses valeurs chevaleresque, le tout sur fond de développement d’une intrigue amoureuse avec Ji Fa, qu’elle voulait pourtant tuer au début du récit. On reconnaît certains motifs de son histoire et elle reste une héroïne tragique, mais son rôle est entièrement reconstruit pour servir l’histoire du siège de la ville. Son personnage est construit en miroir avec celui de Wen Zhong, lui aussi partagé entre sa loyauté absolue et ses valeurs mais tranchant le dilemme de façon radicalement différente. Objectivement, cette réécriture prend la forme d’un récit très efficace, avec des trajectoires claires pour ses personnages, et occasionnant de belles scènes de pathos.
L’autre intrigue centrale est le retour du prince Yin Jiao, l’homme capable d’ouvrir l’investiture des dieux, qu’on avait laissé en bien mauvaise posture à la fin du premier film. Il développe ici une nouvelle forme originale, sorte d’hybride entre Dr Manhattan, Gouki et un personnage d’Asura’s Wrath (ce qui est logique quand on connaît l’origine mythologique de ces deux dernières comparaisons), devenant ainsi une sorte de monstre tragique, tour à tour deus ex machina et source de pathos (son conflit interne est matérialisé de façon étonnante mais tout à fait cohérente avec l’univers du récit. La plupart des autres personnages retrouvent leurs rôles précédents, avec une mention spéciale pour Shen Gongbao qui s’éloigne de plus en plus de son modèle littéraire pour devenir une sorte de Shang Tsung ou de Lo Pan rajeuni ricanant, toujours prêt à commettre des atrocités au nom de son mystérieux maître. Dans l’ensemble, le film remplit parfaitement son contrat, il est très spectaculaire, rempli de créatures folles, du Kirin au géant, avec une interprétation très visuelle du pouvoir de Wen Zhong.
Mais, mis à part son manque d’accessibilité pour un public non informé, le film possède un autre défaut, lié à son projet de franchise. S’il remplit parfaitement son rôle de film de Nouvel an chinois, épique et plein d’émotion, il faut pourtant mettre avant un bémol notable : alors que la fin du film est véritablement émouvante, avec une chanson diégétique dont le sens évolue en leitmotiv au cours du récit qui se prolonge pendant le générique, on voit soudain apparaître « regardez les trois scènes post générique ». Et ces trois scènes, si elles préparent le troisième épisode, comportent un problème majeur : elles expédient des révélations qui semblent très importantes pour la suite et, surtout, elles nient d’un coup l’émotion de la victoire douce amère de nos héros fragilisés, en demandant de passer de la compassion à une excitation peut-être un peu trop anticipée puisqu’on ne sait pas quand sortira le dernier opus, et qu’il faudra potentiellement attendre longtemps si les difficultés de post production de cet épisode se reproduisent… On est en droit de se demander si ces scènes finales n’auraient pas pu faire l’objet d’un moyen métrage intercalaire ou se situer au début du prochain film pour être sûr que le nouveau statu quo soit bien en tête du public. Dans l’état actuel des choses, elles donnent bien envie de consommer la suite mais elle nuisent au film en tant qu’œuvre indépendante. Cette rupture de ton est d’autant plus brutale que de nombreux éléments de ces pièces rapportées vont très vite, alors qu’elles rebattent entièrement les cartes pour le prochain film, et qu’elles semblent sacrifiées sur l’autel du marketing.
Si vous aimez les récits épiques et mythologiques, réclamez toujours plus de Ne Zha, Erlong ou Daji, et n’êtes pas rebutés par la désorientation possible en début de film, ainsi que par les films qui sabotent leur fin en hypant la suite de la franchise, ce pilier central de la trilogie est, en tant que tel, très réussi, l’étrangeté de certains effets spéciaux étant emportée par la cohérence du monde présenté. Dans la catégorie blockbuster mythologique de Chine continentale, c’est sans conteste ce qui se fait de mieux. Reste maintenant à attendre la conclusion l’an prochain pour voir comment Wuershan compte intégrer tout ce qui reste à adapter de ce récit monstre, et quels choix il fera au nom de son goût du spectacle.
Florent Dichy
Creation of the Gods 2: Demon Force de Wuershan. Chine. 2025. En salles le 26/02/2025