FFCP 2024 – Escape de Lee Jong-pil : on dirait le Sud

Posté le 25 novembre 2024 par

En plus de la suite de Veteran, le 19e Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) présentait cet année un deuxième film d’action avec Escape de Lee Jong-pil, un efficace film d’évasion, très patriotique, sur l’histoire d’un soldat nord-coréen prêt à tout pour réaliser son rêve de rejoindre la Corée du Sud.

Soyons clairs, le film ne brille pas par la subtilité de son écriture. Très court pour un film coréen de ce genre (à peine plus d’1h30), il multiplie les péripéties pour donner une impression de mouvement perpétuel, au milieu d’inversions de situation, de quiproquos et de jeux de manipulation. Le film est avant tout conçu pour mettre en valeur ses deux acteurs, Lee Jee-hoon, bien connu du public des dramas, et Koo Kyo-hwan, vu récemment aussi bien dans Escape from Mogadishu que dans Peninsula ou Kill Boksoon. Et en effet, force est de reconnaître leur charisme qui porte le film, même si ce qu’on leur demande de jouer est rarement subtil.

A aucun moment on ne cherche à comprendre ce que pourrait penser un Nord-Coréen, on est très loin du transfuge malgré lui de Entre deux rives de Kim Ki-duk. Notre héros vit ici secrètement pour ce Sud glorieux dont il entrevoit le lustre en écoutant les émissions radiophoniques par les ondes courtes, sa rêverie se manifeste littéralement par un clip musical, et sa boussole est toujours tournée vers le Sud, absolu dans ses convictions. A l’inverse, son Javert nord-coréen, qui le connaît depuis l’enfance, est un méchant de mélodrame. On le découvre sadique, jouant de son pouvoir comme un méchant de Disney, avant de se rendre compte qu’il est aussi un pianiste frustré et un homosexuel malheureux. On peut s’interroger sur ce choix de caractérisation, qui cherche manifestement à lui donner de la profondeur mais risque à tout moment le cliché de l’homosexuel pervers et amoral, puisque c’est aussi un personnage passablement caricatural, sauf quand l’intrigue le demande pour densifier les enjeux.

Quelques autres personnages servent d’accessoires au récit : un groupe de guerrières nomades commandé par Esom (Phantom, Man on High Heels), étonnamment sous-exploitée, ou Hong Xa-bin en personnage prétexte à des scènes de pathos, mais ils ne prennent jamais autant d’ampleur que le duo principal. Les scènes d’action sont efficaces, mais, de même, on sait toujours où on va, avec un héros presque invincible et plein de ressources pendant la majorité du métrage, des personnages qui visent singulièrement mal sauf pour créer des effets dramatiques, des scènes avec des patrouilles frontalières et des champs de mines évoquant évidemment celles de JSA… Tout est très compressé pour donner l’impression d’urgence, mais en contrepartie tout semble un peu forcé.

La conclusion du film est aussi surprenante par sa frontalité au premier degré, le rêve sud-coréen n’est pas d’abord un rêve de liberté mais avant tout un triomphe du sens de l’ambition capitaliste, à la limite de l’autoparodie, même si l’intrigue secondaire sert à évoquer l’éternel problème des familles séparées dans ces deux pays habitant un même peuple. La fin du film se joue toute entière à la limite de l’autoparodie, avec le pouvoir de la radio commerciale comme boussole vers l’espoir, le règlement de compte des frères ennemis debouts sur une mine antipersonnel, oo la confrontation finale dans le tunnel de la frontière (qui peut faire penser au dessin animé Nous les chiens, situé au même endroit avec une montée des enjeux là aussi cartoonesque). Ce n’est pas un mauvais film, il est très professionnellement joué et mis en scène, avec une belle photographie ; c’est simplement un film peu subtil dans son efficacité planifiée et son rôle de tract d’autosatisfaction patriotique. Ce n’est pas véritablement un film sur un transfuge (en dépit de tout réalisme, une fois la frontière passée, tout est comme il le rêvait magiquement résolu), c’est un film sur la supériorité du modèle sud-coréen, capable de permettre des miracles : en un an, on passe de son poste frontière et de son éducation communiste à la fondation de son entreprise, parce que si on veut on peut (à condition d’être le protagoniste, réalisation du rêve non contractuelle si vous êtes un personnage secondaire). Si on cherche un spectacle labélisé qualité coréenne avec des acteurs charismatiques, sans s’embarrasser du discours politique véhiculé, et sans chercher un drame profond sur les soldats des postes frontaliers (genre heureusement déjà assez bien pourvu), Escape remplit très honnêtement son contrat.

Florent Dichy

Escape de Lee Jong-pil. Corée du Sud. 2024. Projeté au FFCP 2024