Le premier long-métrage de Jang Min-joon, Delivery, faisait partie des titres présentés lors de cette édition du Festival du Film Coréen à Paris (FFCP). Le film se veut à la fois une comédie sur les classes sociales et sur la gestation pour autrui.
On le sait, la question de l’avortement est un sujet sensible en Corée, et celui de la démographie l’est aussi. Pour son premier essai dans la forme longue, le réalisateur choisit d’affronter ces deux sujets avec ironie. Un couple riche n’arrive pas à avoir d’enfant, condition essentielle pour obtenir l’héritage du patriarche, un couple pauvre voudrait interrompre sa grossesse, le premier va essayer d’acheter l’enfant du second.
L’intrigue est finalement assez classique, et des éléments peuvent rappeler (en beaucoup plus léger) certains moments de Young Adult Matters, mais l’originalité est que cette fois le couple riche a besoin non seulement de l’enfant mais de faire croire au grand-père que c’est bien sa fille qui est enceinte. Le récit devient alors prétexte à des scènes de travestissement de la réalité, de manipulation cynique et de jeux de pouvoir (dans les deux sens, Me-ja et Dal-su, le couple pauvre cherchant à s’émanciper du contrôle de leurs « clients », pendant que Gui-nam et Woo-hee, le couple riche, essaient d’imposer ses règles).
Le film joue sur les différents aspects de la comédie sociale : le rapport à la virilité avec l’homme riche qui veut à tout prix cacher sa stérilité, la passion des apparences avec son épouse qui cherche avant tout à se mettre en scène et considère que ses « employés » lui appartiennent, sans espoir de vie privée, la cupidité de Dal-su ou la façon dont la société traite Me-ja. L’intertexte le plus flagrant est Parasite, notamment lors des deux scènes où les pauvres font intrusion chez les riches, mais sur un ton beaucoup moins tragique, même si les rappels à ce film jouent sur notre horizon d’attente.
Sans révolutionner le genre, Delivery est porté par des acteurs sympathiques : Kwon So-hyun, ancienne idol du groupe 4Minute incarne Me-ja, Kang Tae-u, acteur fréquent de Hong Sang-soo, et Kim Young-min, tous deux vus récemment dans Lucky Chan-sil, jouent les époux, et Kwon So-hyun (les actrices sont homonymes), vue dans Sinkhole, incarne Wou-hee. Associé à une réalisation solide, le film propose une gentille comédie sociale dont la fin, accomplissant de façon inattendue l’étrange rêve de maternité reçu paradoxalement par le père, mêlant trois tigres anthropomorphes costumés et une bataille pour un ticket de loto, se permet même de jouer sur la question du rôle du père dans le désir d’enfant et ses implications, cassant par là la question de la quête d’un héritier pour proposer une alternative plus tendre. Le sujet choisi était épineux, et même si par moment le discours est un peu ambigu, et que le format d’image semble un peu ample pour le propos, c’est un choix courageux dans la Corée actuelle. On est curieux de voir à quels thèmes se frottera ensuite le réalisateur, et s’il restera dans le registre de la comédie ou voudra se confronter à d’autres genres.
Florent Dichy.
Delivery de Jang Min-joon. Corée du Sud. 2023. Projeté au FFCP 2024.