DC MINI, LA CHRONIQUE DE STEPHEN SARRAZIN – CHAPITRE 42 : Terminator Zero – AI against AI

Posté le 26 septembre 2024 par

Stephen Sarrazin présente dans DC Mini, nom emprunté à Kon Satoshi, une chronique pour aborder « ce dont le Japon rêve encore, et peut-être plus encore ce dont il ne rêve plus ». Dans la continuité de son hommage à Tanaka Atsuko, il livre ses réflexions sur la nouvelle série animée de la saga Terminator, ses liens avec l’univers de Ghost In The Shell, et dévoile ses derniers échanges avec l’actrice qui a prêté sa voix des années durant au major Motoko Kusanagi.

Dans un des volets de la série Austin Powers, ce dernier se trouve dans une Volkswagen Beetle peinte pour un voyage vers les groovy sixties.

Au volant de la voiture, il s’entretient avec Michael York, son M, afin de bien comprendre les conséquences qu’aura le voyage dans le temps sur les personnages et le scénario. À quoi York lui répond de ne pas se préoccuper de cette question, avant de se tourner vers la caméra et d’encourager le public à faire de même. Cela vaut également pour Terminator Zero, une série d’animation comprenant huit épisodes, co-produite par Netflix, Production I.G., Skydance, et écrite par Mason Tomlin, animée d’une ambition d’étendre les frontières du termivers.

On remplace Sarah Connor par Malcolm Lee, un savant venu du futur pour créer une IA, Kokoro, qui pourra se mesurer à Skynet et sauver l’humanité. Un terminator est dépêché pour éliminer Malcolm et accessoirement traumatiser ses trois enfants. Enfin, ce qui reste de l’espèce humaine (terrée dans l’avenir) lance une guerrière à ses trousses, Eiko. Un personnage qui emprunte à la verve hargneuse et combattante de Motoko de Ghost in the Shell. Kokoro quant à elle puise dans les interrogations techno-identitaires que Motoko, sur le point de se dissoudre dans le net, se posait à la fin de Innocence de Oshii Mamoru. Qui est partout présent dans cette série sans avoir réalisé un seul épisode.

Cette tâche incombe à Kudo Masashi, réalisateur de la série Bleach, qui trouve en Yukinari Tao (Berserk), voix d’Eiko, une héritière de l’actrice Tanaka Atsuko, qui fut pendant plus de ving-cinq années celle de Motoko, dans les films d’Oshii et les séries SAC de Kamiyama Kenji. Et visuellement, Zero doit davantage à Oshii qu’à Cameron. Cette tentative de mash-up entre deux univers culturellement distincts et iconiques, par moment noyée dans son propre fandom, s’appuie nettement sur l’esthétique qui caractérise Production I.G..

Le graphisme des personnages et plus encore des cyborgs et autres robots, ainsi que le découpage et les mouvements de caméra, procèdent d’un langage cinématographique associé au XXe siècle, distinguant cette série d’autres productions contemporaines baroques et foudroyantes issues notamment du Studio Mappa.

Le parcours de Malcolm Lee, figure irréconciliable d’un tech billionaire et d’un héros disposé à se sacrifier pour sauver l’humanité, se fait laborieux. Le devenir singularité de Kokoro, dont le trajet narratif la mène de l’hésitation à la condamnation, n’atteint guère de révélation S.-F. novatrice. Les figures de mères abondent et rivalisent du début à la fin : Eiko, sa cheffe qui l’envoie, la nourrice Misaki, et Kokoro, sont en orbite autour de Lee, figure inconsciente prête à laisser ses enfants derrière, comme Richard Dreyfus dans Rencontres du troisième type de Steven Spielberg.

La série fait de son mieux cependant pour éviter ces américanismes qui contribuent à saborder un projet déjà précaire, comme l’était la version live de Ghost in the Shell de Rupert Sanders, qui croyait bon de donner le rôle du chef Aramaki à Kitano Takeshi. Terminator Zero est élégant dans son casting de voix, y compris dans la version américaine, où Eiko est jouée par Sonoya Mizuno (véritable découverte de la deuxième saison de House of Dragons, celle qu’écoute la reine). Car tant repose sur la voix, et la capacité de Malcolm à comprendre et repérer d’où viennent celles qu’il entend.

Stephen Sarrazin.

 Motoko, the voice in your head

Atsuko Tanaka, au moment de sa disparition, avait été la voix de Motoko Kusanagi pendant plus de vingt-cinq ans. Lorsque la version live de Ghost in the Shell fut doublée en japonais, on lui demanda d’être la voix de Scarlet Johansson. Des revues au Japon sont consacrées aux acteurs et actrices de voix, qui comptent des hordes de fans qui les suivent lors d’événements consacrés à des séries à succès. Ils et elles sont également actifs dans le champ du doublage, et du jeu vidéo. La voix Tanaka est indissociable d’un moment phare de ce qui caractérisa la pop culture au Japon. Une IA sera-t-elle la voix de nouvelles séries SAC ?

Lors de la sortie à Tokyo de la version live de Ghost in the Shell en 2017, l’actrice se prêta à de nombreux entretiens. Notre première rencontre ne permit que quelques questions, mais aussi une première annonce du projet de livre consacré à Oshii Mamoru, que Victor Lopez et moi comptions entreprendre. Nous avions espéré un autre échange, que la pandémie puis de nouvelles séries Netflix reportèrent.

Voici un extrait de cette conversation autour de Scarlett Johansson, et de la collaboration et complicité que Tanaka entretient avec Oshii Mamoru.

Quel effet cela vous a-t-il fait de vous redécouvrir dans un personnage que vous avez fait vôtre, sous les traits de cette actrice américaine?

J’étais si impressionnée par la beauté de Scarlett Johansson, notamment lors des gros plans sur son visage. Le réalisateur Oshii me demandait de ne pas exprimer d’émotions lorsque j’enregistrais la voix de Motoko. C’est difficile de maintenir cet état, sur le visage. Ce que faisait Scarlett Johansson était très surprenant, dans chaque scène. Il y avait tant de finesse et de subtilité dans son jeu.

Vous interveniez cette fois pour un travail ‘de commande’. Pour les fans de l’univers de Oshii, c’est une heureuse surprise, qui fait sens, de vous retrouver au doublage du film.

Nous n’avions aucun lien avec ce scénario, ni avec les images. Il fallait trouver un équilibre entre le rapport que j’ai avec Motoko, et penser à ce public qui allait découvrir ce personnage, au Japon, à travers ce film. On me laissait cependant faire des suggestions, utiliser le langage de Motoko ici et là, souligner qu’il n’y a qu’avec Batou que ses échanges sont plus longs.

Croyez-vous que l’univers du film de Sanders est plus accessible que celui des films de Oshii ?

Je crois, oui. C’est un film hollywoodien avec une grande part de divertissement, et il est plus facile à comprendre. Oshii-sensei le pense aussi. Les fans au Japon auront droit aux nuances des personnages qu’ils connaissent, car les acteurs de voix de Batou, de Tosuga… Otsuka Akio, Yamadera Koichi étaient là au doublage avec moi. Le plus grand changement fut que cette fois, nous avions un directeur de voix, un directeur du son pour le film de Rupert Sanders. Nous n’étions pas dirigé par le réalisateur, qui aurait été incapable d’introduire ces indices, ces nuances japonaises dans la manière de s’adresse à une autre personne. Oshii estime que la Motoko que j’incarne et celle de Scarlet Johansson sont des personnages distincts.

Mais nous étions tous les deux sensibles à l’immense beauté de cette actrice, et à ce qui s’exprimait dans son visage.

Stephen Sarrazin.