VIDEO – A City Called Dragon de Tu Chong-hsun

Posté le 17 août 2024 par

L’heure est à la redécouverte des wuxia taïwanais. Après La Vengeance du Dragon Noir chez Carlotta Films, Spectrum Films agrémente son édition de The Valiant Ones d’un film méconnu de Tu Chong-hsun, ancien d’assistant de King Hu : A City Called Dragon. Sorti en 1970 sur l’île de Formose, il s’agît de l’un des premiers rôles principaux de Hsu Feng en héroïne martiale.

Sous la dynastie des Song, les Mandchous complotent. Mademoiselle Shang se rend dans la ville appelée Dragon pour obtenir les plans de bataille des adversaires des Han. Ces documents précieux devaient lui être remis par son contact sur place, mais le gouverneur l’a exécuté. Elle doit donc s’infiltrer pour les retrouver…

Si à l’époque, King Hu était présenté en Europe comme la seule autorité en matière de films d’arts martiaux, des productions telles que La Vengeance du Dragon Noir ou A City Called Dragon démontrent pourtant la vivacité du wuxiapian, uniquement à Taïwan qui plus est, sans parler de Hong Kong et son immense savoir-faire historique. A City Called Dragon jouit d’un synopsis simple et classique – une intrigue d’infiltration – qui permet un focus sur l’efficacité de la mise en scène et même une (petite) partie d’expérimentation.

Il y a un air de Raining in the Mountain avant l’heure dans A City Called Dragon. On retrouve dans les deux films Hsu Feng intégrant un lieu délimité (un temple pour l’un, une cité pour l’autre) et partant à la recherche d’un item. Il s’agit donc d’infiltration, de négociations, de ruses et de combats quand la tension diplomatique se rompt dans les deux cas. A City Called Dragon n’est donc pas un film de King Hu ; aussi, Hsu Feng campe un personnage avec plus d’émotions et d’expressions que chez le « roi du wuxia », ce dernier préférant les atmosphères de contexte historique en partie abstractives. Tu Chong-hsun offre à Hsu Feng la possibilité de sourire ou de montrer sa souffrance – y compris dans une séance de torture – et aux antagonistes de faire exploser leur sadisme. Le twist en fin de film se révèle d’ailleurs fort plaisant et fait état de la complexité qui pouvait régner dans les intrigues politiques de la Chine impériale. Le personnage interprété par Shih Chun, un autre habitué des productions de King Hu, fait valoir un rôle plus épais que d’accoutumée.

Le style de la mise en révèle se révèle racé à la manière de King Hu – ce qui n’est pas étonnant puisque Tu Chong-hsun a été son assistant sur Dragon Inn. Pas de surenchère de combats et de gore comme à la Shaw Brothers : l’accent est porté sur le développement de l’intrigue, et à l’intérieur d’elle, des protagonistes dans leur mission. Les combats ne représentent pas le tiers de l’intrigue. En revanche, le réalisateur innove à certains égards, et ce dès le début du long-métrage. Lorsqu’un palanquin avance avec énergie, ou qu’un individu se déplace rapidement avec une charge portée sur un bâton, il place la caméra à l’intérieur de cette masse, comme à la première personne, et fait ressentir les à-coups par le balancé de la caméra et les bruitages poussés à un volume élevé. Dans ces cas-là, il fait généralement se rencontrer ce point avec un autre qui arrive en face, générant une tension narrative toute particulière et originale, car l’idée est de montrer différemment une rencontre ou une friction.

Dans A City Called Dragon, le dynamisme est donc de mise, à défaut d’une réalisation vraiment iconoclaste, même si quelques essais intéressants sont opérés. À cela, on ajoute une direction artistique vraiment convaincante, les costumes et les décors se révélant au meilleur du niveau du genre et loin des mauvaises productions à bas budget – même si l’on sent par moment que les scènes dans l’obscurité, assez nombreuses, et les plans de caméra serrés, fréquents, permettent à la réalisation de masquer l’ensemble du décor, pour en cacher le manque d’étendue peut-être. Il n’en demeure pas moins qu’A City Called Dragon se révèle être un wuxiapian d’excellente tenue, qui fleure bon le cinéma de genre des années 1970 et se place au début de toute une vague de films d’arts martiaux taïwanais à venir. Et concernant le public européen que nous sommes, il permet de mieux se rendre compte des qualités d’actrice de Hsu Feng, composant dans une variante plus expressive de son archétype chez King Hu.

BONUS

Le disque de Spectrum Films comprend une introduction d’Arnaud Lanuque (11 min) qui dresse le background de Tu Chong-hsun, comment se place le film dans l’univers des cinémas taïwanais et chinois de l’époque, ses qualités et ses défauts. Il développe sur le contexte de la Guerre froide, et comment A City Called Dragon doit plutôt être vu comme un film d’espionnage avec une allure de wuxia. Il explique également comment Taïwan a perdu la bataille culturelle et finit dans les années 1970 par suivre les modes de Hong Kong en ne présentant plus que du cinéma d’exploitation dans ce registre. À cela s’ajoute un module sur la restauration effectuée par Lumiris.

Maxime Bauer.

A City Called Dragon de Tu Chong-hsun. Taïwan. 1970. Disponible en Blu-ray en coffret avec The Valiant Ones de King Hu chez Spectrum Films le 16/07/2024.